Daniel Keene est australien. Né en 1955, il écrit pour le théâtre (il a également été acteur et metteur en scène), le cinéma et la radio. Un premier recueil de pièces courtes, véritables petits bijoux, avait été publié par Théâtrales en 2001. Un deuxième volume de quatorze nouvelles pièces courtes est aujourd’hui disponible qui confirme, si besoin était, que Daniel Keene est l’un des auteurs majeurs d’aujourd’hui. Sa singularité continue de nous surprendre et de nous troubler. C’est étonnant qu’en si peu de pages, le lecteur soit happé par chacune des quatorze propositions. L’auteur pratique ce qu’il appelle une condensation narrative, à savoir « prononcer les paroles les plus fortes possibles avec le moins de mots possibles ». C’est saisissant. L’œuvre de Daniel Keene est à la fois dense et remplie de silences. L’auteur part de situations simples, proches parfois du fait divers : un fils quitte ses parents, deux vieilles dames évoquent toutes les nuits leur mort prochaine, une femme quitte son compagnon emmenant avec elle sa fille, une femme tue son mari… il décrit les petites gens, confrontées le plus souvent à une situation difficile. Et Daniel Keene parvient à ce que chaque personnage, alors qu’aucun n’a la parole facile, nous bouleverse au détour d’une phrase, d’une pensée. Il dit vouloir que ses personnages hissent leur âme à la surface de leur peau, qu’ils essaient tous « de porter de la lumière dans un panier et de faire entrer un infini de douleur dans un dé à coudre ».
Tous endossent leur douleur sans complaisance. Il faut dire que Daniel Keene se situe d’emblée entre le théâtre et la poésie, une poésie qui essaie de dire dans un minimum de mots l’essentiel, qui nous éveille le regard, les sens et l’intelligence, sans jamais paraître abstraite.
Dans un entretien publié en fin d’ouvrage avec le metteur en scène Stéphane Müh et sa dramaturge Christine Bouvier, Daniel Keene raconte : « Artistiquement, les pièces courtes présentaient certains problèmes/ défis que je voulais aborder depuis un certain temps. Au centre desquels se trouvait l’idée qu’une pièce de théâtre est une forme de poème. Qu’est ce qu’un poème ? Il faudrait un poème pour répondre à cette question : ce qui peut commencer à laisser entrevoir ce qu’est un poème. Peut-être qu’un poème est une réponse imaginaire à une question inexistante. (…) Peut-être qu’un poème est quelque chose qui insiste sur sa présence au point de devenir pure présence. Peut-être qu’un poème est simplement l’espace entre deux silences (…). La poésie existait avant l’écriture. C’était un art oral/ une tradition orale. Pour exister ne serait-ce qu’exister, la poésie exigeait que le poète parle ou chante en présence d’un autre. Le poème naissait dans l’oreille de l’auditeur. C’était du théâtre. Pour dire les choses plus simplement, je me disais qu’il devait être possible d’écrire des pièces qui intensifient l’expérience en refusant d’inclure quoi que ce soit de superflu. »
La langue est superbe, il faut citer le magnifique travail de traduction de Séverine Magois, on ressent une grande symbiose entre les deux, auteur et traducteur. Daniel Keene pratique un théâtre de l’épure, d’une grande puissance émotionnelle. De nombreux passages sont bouleversants d’humanité, peut-être parce qu’ils plongent le plus simplement du monde, presque de façon dépouillée, dans nos tourments, notre solitude, notre difficulté d’aimer, de trouver les mots justes… Daniel Keene met en jeu quelques fulgurances remplies de trous et de silences, il donne à voir l’humain. Une mise à nu pudique avec ces petits moments d’éternité où il nous semble qu’on parviendrait presque à saisir un petit bout d’âme.
Théâtre L’âme à fleur de peau
mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83
| par
Ludovic Bablon
Pour Daniel Keene, un poème est « la première pression à froid de l’existence. » Ses courtes pièces, elles, sont des essences rares.
Un livre
L’âme à fleur de peau
Par
Ludovic Bablon
Le Matricule des Anges n°83
, mai 2007.