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Histoire littéraire La furie Papini

juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84 | par Éric Dussert

Le nouvel Attila, revue curieuse, s’émancipe. Elle publie son premier titre, Gog, audacieux roman d’une figure cardinale du futurisme italien.

Gog

Illustration(s) de Rémi
Editions Attila

Giovanni Papini semble n’avoir jamais été ce que l’on appelle un homme simple. Et son chef-d’œuvre, Gog, ne subira pas non plus cet outrage. Son titre, pour commencer, exprime l’étrangeté et la menace. Gog, c’est notoire, est une engeance biblique à la terrible réputation. Le personnage ou son peuple sont évoqués dans le livre du prophète Ezékiel. C’est donc une trace antéhistorique dont on a maintes fois dit qu’elle recouvrait probablement des barbares scythes descendant du patriarche Gog, voire Magog, et symbolisant la brutalité des hordes rapaces et sans quartier. Voilà des référents culturels que la créature imaginée par Papini ne brouillera pas, de même que Papini lui-même, érudit élastique et énergique, trublion futuriste puis catholique au parcours et aux engagements parfois énigmatiques ne troublera pas. Fomentateur de journaux et de revues, dont le fameux Lacerba (1913), remarquable organe du futurisme naissant, auteur d’une autobiographie à l’âge de 25 ans, best-seller avec une vie du Christ en version homosexuelle, catholique excommunié après la guerre pour un Satan contesté, Giovanni Papini (1881-1956) fut, à l’instar de son Gog, une sorte d’effervescent remueur d’idées, doublé d’un gaillard aux allures d’inspiré. Gog, le personnage qu’il créa pour stigmatiser les dérives morales et intellectuelles de son siècle, ne pouvait en somme pas le compromettre, lui attirer tout aux plus des horions et le dédain.
Il faut préciser pour être clair que ce roman, car c’en est un, fût-il à thèse, est basé sur le récit rapporté d’un homme rencontré dans un asile. Ce Gog, narrant son parcours, prétend avoir été un richissime industriel à peu près inculte, désireux, fortune faite de coups de force en hardiesses capitalistes, d’en apprendre plus sur ses contemporains et sur l’Homme en général. Il engagea pour s’instruire les meilleurs des poètes, peintres, philosophes, etc. afin qu’ils lui peignent l’état intellectuel des nations. Et Papini convoque jusqu’à Freud, Lénine, Einstein, Edison ! Le spectacle organisé par Papini débute dans ce tableau aussi crédible que les réactions du magnat apparemment dément qu’il suscite. De fait, la brutalité des jugements se déchaîne tandis qu’apparaissent, et pas seulement en filigrane, toutes les vanités, les incohérences, les inconséquences et les veuleries de nos sociétés. Car c’est au fond un pamphlet que ce Gog.
Se déploie sous la plume de Papini une vision cynique, agressive et parfois paranoïaque de la réalité sociale et culturelle qui confine souvent à la prophétie. Il faut rappeler que le roman fut traduit en 1932 chez Flammarion dans une version curieusement tronquée de cinq chapitres éloquents, rétablis ici soit avant la Seconde Guerre mondiale et le rugissement industriel, boursier et « libéral » du dernier demi-siècle. Le chapitre « Pédocratie » est à ce titre éloquent : Papini y dévoile peu ou prou le jeunisme à venir, le culte de la nouveauté, la « monétisation » des rapports entre classes d’âge, l’obsession de la vitesse et de l’instantanéité, etc. Preuve, s’il en fallait, que nos travers ne sont pas de génération spontanée… Mais la question subsiste de savoir s’il s’agit d’un écrit anti-humaniste ? Là, plus rien n’est sûr et l’on est libre de se forger son idée puisque Gog, capitaliste animal, est bel et bien taxé d’insanité.
Il faut lire Gog à tout prix (âmes sensibles s’abstenir toutefois). Si ce livre vaut comme toutes les grandes tentatives littéraires de son temps (Pierre Albert-Birot, etc.) pour son audace, il a en outre un propos d’ordre philosophique qui ne doit pas échapper : aux argumentations de Gog, il convient d’opposer la raison ou constater parfois que son attaque frontale des règles communes, de notre apparente « morale », de nos us et de nos lois n’est pas exempte de raison… Ce livre de visionnaire provocateur et brillant doit rester comme une pierre de touche du brutal XXe siècle, siècle tout aussi stupide que son prédécesseur, et probablement bien moins que celui qui débute. Au fond, Papini souligne l’incapacité du genre humain à accomplir aucun autre progrès que technologique. Bref, le rugissant Papini n’est pas bien encourageant. Et pour le baume au cœur et les lendemains qui chantent, il vaudrait mieux voir ailleurs.

Gog de Giovanni Papini, traduit de l’italien par René Patris et Marc Voline, Attila, « Nocturne » (127, avenue Parmentier 75011 Paris), postface de Benoît Virot, 351 pages, 20

La furie Papini Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°84 , juin 2007.
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