Le soldat israélien Cham s’apprête à partir en permission et vient de rater son car pour Tel-Aviv. Quelques minutes plus tard, un commando palestinien attaque la patrouille à laquelle il appartient. Son collègue est tué sur le champ et Cham est blessé et pris en otage. Par quel groupe précisément ? « Quelle différence pour lui, à vrai dire ? Il ignore tout des multiples facteurs de combativité, de ressentiment ou de spéculation des uns et des autres. » Il se réveille dans une petite chambre, chez la veuve Asmahane, aveugle, et sa fille Falastin, frêle Antigone dont il va très vite tomber amoureux et être aimé à son tour. Les deux femmes ont perdu le chef de famille, militant pour la démocratie, dans un attentat à la voiture piégée. Soigné et protégé par elles, Cham est désormais de l’autre côté. Commence alors pour lui une étrange expérience, de dépersonnalisation ou plutôt de changement d’identité. En effet il ressemble terriblement à Nessim, le frère de Falastin, jamais retrouvé malgré mille recherches, et c’est sous cette identité qu’il va pouvoir sortir au grand jour…Cette substitution est le prétexte romanesque qui permet à Hubert Haddad de souligner les ressemblances entre les deux peuples ennemis, et donc l’absurdité fondamentale de ce conflit ; mais surtout, grâce à ce changement de point de vue subi par Cham, le romancier montre les violences quotidiennes qui déchirent Israéliens et Palestiniens ; les humiliations et destructions régulières vécues par les Palestiniens, les brimades gratuites, comme lors de cette scène pénible où un soldat israélien s’amuse à faire avancer et reculer une vieille femme aux chevilles enflées, ou quand une patrouille, après un passage au check-point, demande brutalement à une famille d’ouvrir le cercueil du mort qu’ils conduisent à sa dernière demeure ; sans compter « les balles perdues… avec les regrets garantis de Tsahal et les cris de joie des colons ».
La haine est là, omniprésente, chez ces colons comme chez les résistants dont le rêve est de chasser tous les Juifs et qui ont pour certains abandonné toute idée d’un règlement pacifique. Totalement immergé dans la réalité palestinienne et comme frappé d’amnésie, Cham devient progressivement l’un d’eux et les repères autour de lui se brouillent. On peut lire une forme de parabole dans la substitution d’identité entre un jeune Israélien et une jeune Palestinien ; et Cham et Falastin rappellent bien un peu Roméo et Juliette. Mais le plus réussi, c’est plutôt lorsque l’auteur décrit le quotidien de ce territoire, malgré certaines métaphores un peu vaines.
Alors, dans l’incandescence de son style et dans celle de ses deux jeunes héros, Hubert Haddad nous dévoile vraiment le Proche-Orient contemporain, tragique, explosif, sous tension permanente. Mais il dit aussi, de façon inspirée, la beauté poignante de ce bout de terre minuscule, la Cisjordanie, là où « dans la lumière verticale, les champs d’oliviers ont un tremblement argenté évoquant une source répandue à l’infini, (là où) l’ombre manque à midi, sauf sous les arbres séculaires aux petites feuilles d’émeraude et d’argent, innombrables clochettes de lumière au vent soudain et qui tamisent le soleil mieux qu’une ombrelle de lin ». Ou bien encore la vie quotidienne, foisonnante et toujours recommencée, suspendue mais opiniâtre : « Des pleurs d’enfants, des musiques chantées, la sirène d’alarme d’une voiture ou le ronflement d’un groupe électrogène tapissaient le fond de l’air d’une sourde rumeur que venaient couvrir, trop distinctes, les voix aigres du poste de télévision ».
Palestine
Hubert Haddad
Zulma
156 pages, 16,50 €
Domaine français Terres promises
septembre 2007 | Le Matricule des Anges n°86
| par
Delphine Descaves
Dans ce court et vibrant roman, Hubert Haddad décrit la réalité palestienne en nouant le destin d’un soldat israélien à celui d’une famille de Cisjordanie.
Un livre
Terres promises
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°86
, septembre 2007.