La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Zoom Odyssée à la libanaise

septembre 2007 | Le Matricule des Anges n°86 | par Richard Blin

C’est la très rocambolesque jeunesse de son grand-père aventurier, « sultan blanc », sorte de Sindbad ou de Marco Polo des déserts que fait revivre Charif Majdalani dans son deuxième roman.

Caravansérail

Décidément Charif Majdalani aime le romanesque et l’extravagant, le panache, les âmes insoumises, les moirures de la souvenance. Né à Beyrouth, en 1960, et directeur, en cette même ville, du département de lettres françaises de l’université Saint-Joseph, sa vaste culture et son intelligence du monde lui permettent d’échapper aux frontières imposées par une nationalité, l’usage d’une seule langue ou la sujétion à une idéologie ou à une religion. Après Histoire de la grande maison (Seuil, 2005), c’est un autre pan de la chronique familiale qu’il entreprend de restituer dans Caravansérail.
Il s’agit cette fois des tribulations de celui qui allait devenir son grand-père maternel, Samuel Ayyad, un jeune Libanais aventureux qui fut de ceux qui se sentant à l’étroit entre la montagne et la mer quittèrent le Liban entre 1880 et 1930 pour aller chercher fortune à l’étranger. « Une histoire pleine de chevauchées sous de grandes bannières jetées dans le vent, d’errances et de sanglantes anabases », une véritable équipée qui lui vaudra la réputation de fondateur de sultanats et le surnom de « Sultan blanc ». Des années d’aventures et de voyages s’inscrivant dans la filiation de l’épopée et renvoyant malicieusement au modèle de tous les récits de voyage, à L’Odyssée, à cette navigation originelle dont les mers sont ici des savanes et des déserts.
À partir d’une photo, des récits assez vagues de sa mère et de quelques faits avérés comme la rencontre du prince Fayçal et de Lawrence d’Arabie, Charif Majdalani, poussé le désir et le besoin baroque de combler les vides, va mêler ce maigre matériau aux artifices de la fiction, et intriquant harmonieusement l’inventé et le réel, retracer le périple de celui qui quitta le Liban, en 1908 ou 1909, pour le Soudan afin d’y servir en tant qu’officier civil, c’est-à-dire agent de liaison pour le compte de l’armée britannique. Début d’un épisode particulièrement riche en rebondissements et marqué par deux rencontres capitales. D’abord celle d’un colonel anglais excentrique qui l’enverra guerroyer aux confins du Soudan et du Tchad, puis celle d’un compatriote, émigré comme lui, qui, à la tête d’une immense caravane, transporte à dos de chameau, un petit palais arabe entièrement démonté, qu’il espère vendre à quelque roitelet africain épris de faste. Mais ces derniers sont de moins en moins puissants et leur royaume de plus en plus pauvres, et le palais se révèle absolument invendable, tandis que le convoi « somptueux et pitoyable comme un déménagement royal sous la menace d’un huissier » erre par les déserts du Tchad, convoité par les pillards, livré à la merci des disputes des caravaniers ou aux colères des chameaux « qui s’arrachent les oreilles et les yeux ». Ce sera finalement Samuel « Samouyil » qui achètera « l’encombrant bagage », le palais « volant », et décidera de le rapatrier chez lui, au Liban. Mais la Première Guerre mondiale a éclaté, et avant de revoir son pays, Samuel devra vivre une véritable odyssée qui le mènera le long du Nil puis à travers l’Arabie et la Syrie, soulevés par Fayçal et Lawrence, jusqu’aux neiges du Mont-Liban.
Sur fond d’arrière-plan historique précis, de décennies de guerres saintes, de tyrannies et de famines, c’est toute une organisation sociale que ressuscite Charif Majdalani, un monde livré aux tribus et aux féodalités, aux traditions et aux trahisons. Tout un brassage d’images épiques, d’anecdotes truculentes célébrant les vertus du mouvement et de l’en-aller comme l’énergie et la ruse. Au milieu de la splendeur brûlante du désert, de sa beauté minérale, de sa sécheresse rocheuse et de son ivresse stérile, chaque péripétie fait écho aux grandes forces qui font et défont les destins. Au plus près du pittoresque vécu bains dans le désert, palabres autour des feux ou « sur des sofas à l’ombre des acacias, dans le vent du désert », scorpions dans les chaussures et serpents sous les couvertures…, c’est le grand cirque de la vie et la force d’âme des hommes qui sont mis à l’épreuve et illustrés. Une façon d’être que métaphorisent les senteurs et les saveurs les plus insolites, depuis les « langues de singes revenues dans du gras d’agneau » en passant par « les couilles de girafe truffées de coriandre et d’olives noires » ou les « entrailles de gazelles farcis de cœurs de pigeon ».
Car Majdalani a une façon d’épouser le lieu et l’instant, qui fait que sa phrase s’ouvre comme naturellement aux soucis des hommes, à leurs mirages, à la rumeur du désert ou au rythme des marches et des haltes. Elle sinue en souplesse, sait s’adapter aux mouvements de la caravane comme aux rouages retors de la palabre aussi bien qu’elle s’accorde aux résonances des sentiments, aux gestes et aux couleurs qui rendent sensibles les faits autant qu’ils témoignent de cette forme de participation à l’émotion du monde, qu’il faudrait nommer joie du réel. Car il y a chez Majdalani, une écriture qui nie la plainte et le refus, distille au contraire de la présence, sans négliger pour autant la dimension initiatique de tout voyage. Car par-delà le souffle qui porte ces pages et par-delà son tempo épique, l’odyssée de Samuel n’est finalement qu’un très grand détour au terme duquel il pourra bâtir sa demeure, prendre femme et l’y installer.

Caravansérail
Charif Majdalani
Seuil
216 pages, 17

Odyssée à la libanaise Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°86 , septembre 2007.
LMDA papier n°86
6,50 
LMDA PDF n°86
4,00