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Poésie Une photographie de l’horreur

novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88 | par Marta Krol

C’est dans une clarté irascible du vocabulaire et de la syntaxe, sans jamais se laisser affecter par le martyre ni par l’abjection, que se déploie « Holocauste » de Charles Reznikoff.

Le nom de l’objectivisme n’évoque pas nécessairement pour un lecteur français de choses précises, et pour cause. Les quatre poètes qui l’avaient fondé dans les années 30 aux États-Unis, George Oppen, Carl Rakosi, Louis Zukofsky et Reznikoff (mort en 1976 à 82 ans), avaient décidé de monter leur propre maison et de payer chacun les frais de publication de leurs livres, tout en s’accordant spontanément, précise ce dernier dans l’interview (déjà publiée dans Europe en juillet 1977) qui suit le texte, sur ce mot en tant que principe d’écriture poétique. Pas de volonté de faire école donc, simplement d’unir ses forces et de se soutenir dans une conception du travail semblable - avec les mêmes rejets et les mêmes modèles littéraires.
En quoi consiste ce principe, quelques lignes de lecture suffisent à le faire comprendre. Mais toute question théorique voire biographique s’avère vite dérisoire devant ce qui est montré. Et c’est désormais le mot montrer qui importe ; dans un souci constant de précision, de justesse et d’exactitude documentaires sinon celle d’un greffier donner à voir ce que fut la folie du nazisme. Décrire, sans exprimer, des faits : lieux, situations, gestes, mouvements, configurations de corps et d’objets. Il semble que l’imagination poétique n’ait pas été convoquée : l’auteur a utilisé les minutes des actes du procès de Nuremberg, où sont transcrits les témoignages oraux des victimes et des témoins. Aussi est-on très près du réel, d’un réel dont on aimerait tant pouvoir réaliser qu’il n’était qu’un cauchemar nocturne - mais non, il n’y aura pas de réveil. On traverse ce livre en apnée, en le reposant souvent dans un mouvement de répulsion, puis on le reprend poussé par le besoin, enfin, de comprendre, d’entrevoir quelque chose dans cette expérience des hommes dont aucun qualificatif ne saurait épuiser l’horreur.
Mais un cliché ne parlera pas, il ne fera jamais, impitoyablement, que montrer. En effet, il n’y a presque pas eu d’images authentiques prises dans les camps ou lors des exécutions dans les villes ou villages polonais. En effet, il n’est pas inutile de dérouler un documentaire discontinu comme le sont les événements relatés, reconstruit au plus près des attestations, afin que la vérité soit énoncée à l’intention du plus grand nombre. Cependant, le lecteur demeure démuni et désemparé devant ce compte-rendu qui se refuse à penser et à pénétrer ce qu’il charrie. Certes, telle est la règle du jeu et elle est respectée avec une rigueur : ne rien exprimer que ce qui a été vu ou entendu. Seules les perceptions sont prises en compte, à l’exclusion notamment de l’émotion : la préface comme l’interview insistent lourdement sur la nuisance de l’émotion explicitée en poésie, évidence dont on notera au passage qu’elle s’applique à toute littérature, non seulement à la poésie et objectiviste, et à toute forme d’art. Faire émerger une émotion ne passe pas par la désigner, certainement. Aussi l’émotion éclate-t-elle et submerge le lecteur de ce long poème, ce en quoi le but formulé par son auteur est largement atteint.
Cependant, d’une part, si c’est effectivement l’émotion que cherche à provoquer le poète (tous ne le diraient pas), disons les choses crûment, le matériau (en plus déjà d’ordre linguistique) s’y prête. L’inconcevable ampleur de la souffrance des gens si proches de nous, quand on vous la donne à voir, eh bien, ça vous émeut ; et ce n’est rien de le dire. Cependant, d’autres émotions peuvent être attendues en poésie, jaillies d’un fait intrinsèquement insignifiant - un regard neuf, une bribe de pensée libre, une image éclair interceptée dans une vie ordinaire - et ces émotions-là, si évanescentes et ô combien nécessaires pour apprendre à vivre, on est en droit de penser qu’elles seraient bien plus lentes à affleurer à partir de cette même technique objectiviste.
Car, enfin, si « nommer, nommer, toujours nommer » est bien, comme le dit Reznikoff, la haute tâche du poète, c’est de nommer ce qui ne l’est pas déjà qu’il s’agit. Non pas redire, relater le fait, mais s’attaquer à l’innommable. Donner, forger, conférer une forme à l’informe. Car si les faits et les émotions appartiennent à chacun, les formes n’appartiennent qu’à l’artiste. Des formes inédites qu’il crée et qu’il pose dans un monde quelquefois barbare, pour tenter de l’articuler. Des formes qui permettent d’approcher ce qui échappe à l’entendement. C’est en cela que l’art est indispensable, et qu’il est rare ; et si la question de l’art après les camps a été posée, ce n’est pas quant à son utilité, mais quant à sa possibilité même, tellement paraît impossible de nommer, maintenant. Et Primo Levi que le préfacier compare à l’auteur d’Holocauste à cause de son absence de jugement et de moralisation, se distingue sur le point essentiel de ce dernier : il analyse (et le mot est employé par Auxeméry), il tente une forme nouvelle, en artiste et en intellectuel. Il ose précisément cette tâche indispensable et sisyphienne à laquelle se refuse l’objectiviste.
Nous ne citerons pas Holocauste, comme il est interdit de prendre des photos à Auschwitz. Ceux qui souhaiteraient y aller (et cela peut être un devoir), mais qui ne feront pas le voyage en Pologne, qu’ils le lisent.

Holocauste
Charles Reznikoff
Traduit de l’américain
et préfacé par Auxeméry
Prétexte éditeur
173 pages, 12

Une photographie de l’horreur Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°88 , novembre 2007.
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