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Poches Divine mascarade

février 2008 | Le Matricule des Anges n°90 | par Jérôme Goude

À travers les frasques et les déboires terrestres d’un dieu fantoche, « Voyage babylonien » d’Alfred Döblin, récit burlesque et parabole, instille son gai savoir.

Affublé d’une paire d’ailes, d’un pif proéminent et d’un acolyte irascible, le vénal Georges, Conrad, avatar romanesque de Marduk, dieu suprême du panthéon babylonien, prend son envol et déserte son « Walhalla en ruine » afin de démêler les causes d’une fâcheuse pénurie alimentaire. Acculé par les imprécations apocalyptiques de Jérémie, prophète de profession, ainsi que par les négligences sacrificielles des mortels, l’ « auguste Babylonien » atterrit bon an mal an sur une plaine, « entre l’Euphrate et le Tigre, près la vieille route d’Urfa à Nasilia ». Ci-gît ad aeternam l’impossible expiation d’une faute aussi juvénile qu’Hérode.
Voyage babylonien décline les étapes insolites d’un itinéraire gouverné par les désagréments intestinaux, les jouissances buccales et les interminables arguties, d’un Conrad fraîchement incarné. Du champ des antiquailles de l’ancienne magnificence de la ville biblique, de l’un de ses villages contigus aux noms improbables, après avoir jacassé avec August Rumstädt, un éminent spécialiste de la civilisation babylonienne, Conrad migre légèrement vers Bagdad en compagnie de Georges. C’est caracolant dans une « auto pétaradante » que nos deux énergumènes entrent dans la « cité de la paix ». De Bagdad où Conrad partira en quête d’autochtones repus de savoirs, où George s’initiera à la libre circulation de la fausse monnaie et où tous deux retrouveront inopinément l’épicurien Waldemar, Voyage babylonien mène à Constantinople. Là, chacun vaquera à ses affaires. Conrad se livrera aux délices amers du badinage amoureux, Waldemar cultivera sa cirrhose et Georges spéculera. Waldemar mort, Georges et Conrad se séparent, l’un se payant une échappée russe, l’autre traînant sa nostalgie dans les rues zurichoises. Solitaire, « Conrado Conradini » débarque à Paris, la « gigantesque et farouche cité des hommes » dans les recoins de laquelle surgissent des « visages effrayants » : Violette Nozières et les sœurs Papin.
Avant-dernière étape de Voyage babylonien, Paris est le lieu où se déploie une veine plus tragique. Sans se départir complètement de son humour grinçant, Alfred Döblin, qui se réfugia à Paris dès 33 et devint citoyen français en 36 avant de s’exiler aux États-Unis, y projette les silhouettes claudicantes et les acteurs impénitents de la misère humaine. Ainsi, Conrad côtoie les ruelles jalonnées de « maisons délabrées et sales » et les parias de la capitale. Mais, a contrario de Franz Biberkopf, le petit vaurien de Berlin Alexanderplatz, il ne fréquente aucun criminel. N’en déplaise aux fantasmes de Georges qui, de retour, s’obstinera à abstraire Conrad de ce milieu pour qu’il s’acquitte de sa dette. Remplumé, Conrad tentera alors, avec femme et marmaille, une ultime régression rousseauiste. Au sein d’un « Château sans nom » servi par une Mère-nature généreuse, titillé par des rêves de félicité, l’ex-dieu « babylonien-chaldéen-assyrien », « vieux bandit hirsute » de l’empyrée, s’éteindra.
Si Voyage babylonien présente la même architecture romanesque que Berlin Alexanderplatz, le même art de la digression savante incongrue, il n’en accroît pas moins toutes les potentialités. Alors que l’œuvre-maîtresse de Döblin dépeint le Berlin de 1928, Voyage babylonien multiplie lieux et références en sorte qu’une vision kaléidoscopique de l’Histoire s’agrège au récit des pérégrinations factuelles de Conrad. Par l’entremise des évocations du roi Mithridate, du pogrom des deux mille Juifs de Strasbourg, du tsar Alexandre Nikolaïevitch, etc., mais aussi de réécritures mythologiques, de vignettes encyclopédiques ou de parodies littéraires, Alfred Döblin a composé une œuvre qui n’est pas celle d’un « érudit de taverne », mais celle d’un visionnaire. Un visionnaire marqué par les rares trouvailles et les sombres soubresauts de l’humaine condition.

Voyage
babylonien

Alfred Döblin
Traduit
de l’allemand
par Michel
Vanoosthuysse
Gallimard,
« L’imaginaire »
636 pages, 11

Divine mascarade Par Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°90 , février 2008.
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