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Zoom Le roman de l’impossible

février 2008 | Le Matricule des Anges n°90 | par Richard Blin

Hanté par le trou et le trouble, le sixième roman de Bernard Desportes, « Une irritation », offre une vision singulière de l’écriture et du désastre de vivre livré à la tentation et aux interdits.

Une irritation

Entrer dans un livre de Bernard Desportes, c’est accepter d’être bousculé, dés-innocenté, entraîné du côté de l’ambiguïté et de l’outrance. Venant après Brèves histoires de ma mère et Dansant disparaissant, Une irritation porte à son point d’incandescence quelque chose comme l’autopsie d’un roman mort-né. La cinquantaine passée, Vlad, le narrateur, est un homme en révolte. Contre ceux qui sont censés l’aider à surmonter une attaque cérébrale qu’il nie. Contre notre société « à l’obéissance servile et à la morale liberticide », contre « l’ignorance galopante et les métastases de l’analphabétisme ». Contre ses proches, la gent littéraire, les adeptes de la « haute poïésie » et tous ces écrivains programmés pour que « chacun puisse boire à la même auge, une mangeoire démocratique dont le lecteur asservi en animal domestique de rapport assurera le succès ». C’est ce manque d’air et l’obligation qu’il a, parfois, de côtoyer les autres qui est cause de l’irritation qui gagne son corps et le rendrait fou s’il ne parvenait à fuir.
Dans ce monde qu’il rejette et où il étouffe, seuls les garçons de passe, l’alcool, les errances nocturnes, lui apportent un peu d’oxygène. Alors, il décide de faire le vide, de se débarrasser des milliers de livres qui couvrent ses murs. En vain car « les pierres d’un mur ne diffèrent en rien finalement des livres qui le couvrent ». Qu’à cela ne tienne ! À grands coups de masse, il perce un trou dans chaque mur de la pièce commune, avant de les couvrir de toiles pour se protéger des « regards sournois et avides », et pour laisser passer l’air, « l’air enfin, non pas la lumière qui tue et dévoile mais des voiles pour l’ombre qui cache et protège ». C’est qu’il a décidé, « après trente-six ans de tâtonnements poético-critiques » d’écrire enfin le roman auquel il songe depuis qu’il s’est aperçu que « la vie ne pouvait être viable qu’en la maintenant en permanence dans une irréalité de sons de souffles et de rythmes qui nous arrache au lourd poids d’un quotidien dans lequel tout se perd sans cesse et se fond ».
Un roman pour opposer un ton et une construction au chaos permanent qu’est la vie. Mais par où commencer ? Quoi dire qui n’aurait pas déjà été dit ? Car on ne se débarrasse pas de la littérature en jetant ses livres. Elle est toujours là cette littérature, « la vieille salope, qui rapplique, envahit tout, récupère chaque pensée, chaque espace de vie ». Ce qui fait qu’Une irritation devient un roman sur l’impossibilité d’écrire ce que l’on voudrait vraiment écrire. Chaque phrase n’est que du recyclage de déjà écrit. La bibliothèque revient dans le texte comme reviennent à la mémoire corps, instants et lieux avec leur halo de sensations et leur traîne d’images. Du perdu, du disparu, avalé par quel trou noir ? « Comment est-ce possible ? »
Une irritation livre donc sarcastiquement bataille contre ce désastre, contre l’origine toujours impure, contre la vie qui se dérobe. Écrire ressemble à une transe sombre traversée par les ombres de Villon, de Rimbaud, de Bataille, de Kafka, de Genet, de Gide… Écrire c’est entrer dans ce désastre ouvert, s’enfoncer dans l’angoisse qu’il alimente, constater que nous vivons de celui que nous avons perdu, de cette enfance que nous portons comme une légende. C’est aller nu vers un face à face avec sa part honteuse et inavouable, cette part « réelle, profonde, gênante, qui est en nous celle d’un autre : l’étrange obscénité de la voix étrangère ». Ce qui revient à admettre que l’acte d’écrire est aussi déchirant que l’acte sexuel, qu’il passe par le corps, qu’il tient d’un désir aussi obsessionnel et féroce qu’ « une irritation urticante ».
D’où des scènes dignes d’un pur théâtre de la cruauté, d’un Artaud pour qui l’idée de théâtre ne valait « que par une liaison magique, atroce, avec la réalité et avec le danger ». Des tableaux montrant, comme chez Bataille, tout ce qui relie la jouissance érotique au Mal, « la blessure mortelle de la splendeur nue odorante et lumineuse » à l’irruption de forces dont la violence devient vite insupportable. C’est que l’écriture, loin de transcender la réalité, précipite au plus profond des tentations et des obsessions si difficilement refoulées ou même niées, là où Éros et Thanatos se télescopent et où la volupté sacrificielle peut déployer sa liturgie scandaleuse.
Ainsi ce roman fantasmé qui ne parvient pas à s’écrire, ce roman resté à l’état virtuel ressemble finalement à celui dont rêvait son auteur : un roman qui « ne se fait pas entendre par ce qu’il raconte ou suggère mais dans la nuit qu’il ouvre, dans ce qu’il dévoile et donne sans l’avoir pu dire : un hors-sens nocturne, la part noire et cachée du sens, ce que l’être ne peut être par la seule cohérence de ses mots. » Un désastre - car tel est le titre dudit roman - littéralement mis en musique par un Bernard Desportes qui a un souci véritablement amoureux de sa phrase. Une voix dont la loi rythmique captive et capture. On est pris, on lit mené par une sorte de plaisir de la répétition. Plaisir essentiellement littéraire, plaisir de langue qui souligne la souveraineté d’une écriture aux prises avec les gouffres dévorants de la nuit chair et les arabesques lacunaires de la présence invisible des disparus.

Une irritation
Bernard Desportes
Fayard
312 pages, 19

Le roman de l’impossible Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°90 , février 2008.
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