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Domaine étranger La fausse parole

mars 2008 | Le Matricule des Anges n°91 | par Sophie Deltin

En 1985, dans un texte satirique longtemps bloqué par la censure, Volker Braun confrontait la réalité aux discours du « socialisme réellement existant ».

Le Roman de Hinze et Kunze

De Volker Braun (né en 1939 à Dresde), dont l’œuvre subversive de dramaturge, poète, romancier et essayiste fut couronnée en 2000 par le prestigieux prix Büchner, c’est peu dire qu’il s’est affirmé, depuis son premier livre de poèmes Provokation für mich (1965), comme l’écrivain d’une expérience : celle de l’État socialiste est-allemand tout autant que de son effondrement en 1989. À l’instar de ses illustres compagnons, Christa Wolf et Heiner Müller, Volker Braun n’a pas seulement eu le courage de se refuser à quitter ce qui demeurait son pays, la RDA, il a aussi eu celui de ne jamais plier contre le mur d’un système politique. Son lieu de résistance ? La littérature, la langue qu’en dialecticien et agitateur incorruptibles, il explore, contorsionne, « brise » et réinvente pour mener à bien son examen critique d’une société, flouée par un parti-État qui a eu beau jeu de s’édifier sur les valeurs de l’antifascisme.
L’intrigue de son Roman de Hinze et Kunze se noue d’ailleurs au cœur même de la langue allemande, dans le proverbe « Hinz und Kunz » dont l’équivalent en français pourrait être rendu par « Pierre et Paul », soit le chacun et n’importe qui de tous les jours. Sauf que, et en violation éminemment satirique du proverbe censé jouer ici comme métaphore d’un régime instaurateur de « démocratie », il ne sera point question d’égalité entre ces deux « héros » ordinaires, puisqu’un seul, Kunze un responsable du parti, avance son droit, absolu, sur l’autre, Hinze son chauffeur, qui s’incline. Ainsi tandis que Hinze « ne vivait pas, pour ainsi dire, pour lui », Kunze au contraire « vivait pour tous, et pour Hinze aussi », notamment en le « déchargeant » de sa femme, Lisa. C’est donc plutôt selon le modèle brechtien du maître et du valet, du « patron » et du « serf », que ce « couple » si opposé et inséparable à la fois, fonctionne. Mais « Qu’est-ce qui les maintenait ensemble ? » s’interroge de façon récurrente l’auteur qui ne se gêne pas d’intervenir en « troisième homme » du roman. C’est « l’intérêt de la société » bien sûr. Mais « qui pose la question de savoir ce que c’est au juste ? » Rarement un écrivain ne se sera mis en demeure de répondre si efficacement à la mission de la littérature : pointer, nommer les tabous, les tares d’un système qui s’autoglorifie de libérer l’homme, l’honorer à égalité de tous les autres, et le maintient pourtant dans la pire des aliénations. Toutes ces contradictions en somme, qu’il s’agit de démasquer non pas à partir de la théorie, mais à partir de la vie quotidienne - du bas de l’échelle, de ce que les gens vivent réellement.
À la croisée donc de l’héritage brechtien (outre les figures du Maître Puntila et de son valet Matti, se retrouve l’esprit des Histoires de Monsieur Keuner) et de la tradition des Lumières (dans l’écho explicite à Diderot et Jacques le fataliste), Volker Braun se livre à une remise en cause précise, subtile et non moins radicale, des mécanismes et des rapports de domination. Se voulant « plus impitoyable que n’importe quel couteau », il s’en prend au fondement même des pensées momifiées en « système » : le matériau de la langue quand elle se prostitue en vérités officielles, en slogans grotesques et hypocrites - un « baratin » de bureaucrates grandiloquent mais débilitant, mensonger.
Dans ce roman bloqué quatre années par la censure avant d’être publié en 1985, le style original de l’écrivain allemand ne tient pas seulement à son ton, irrévérencieux, grinçant et sarcastique. Par son art visionnaire de la formule, son ironie démystificatrice, il réussit à fêler de l’intérieur le carcan dans lequel le langage du « socialisme réellement existant » aura toujours été sommé de se tenir en ordre - jusqu’à devenir une coquille vide, bien amère pour ceux qui comme Volker Braun, voyaient alors repoussée dans un avenir toujours plus lointain, la réalisation d’un « socialisme » réel et authentique qu’ils appelaient de leurs vœux.

Le Roman de
Hinze et Kunze

Volker Braun
Traduit
de l’allemand
par Alain Lance
et Renate
Lance-Otterbein
Métailié
176 pages, 9

La fausse parole Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°91 , mars 2008.
LMDA PDF n°91
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