La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Intemporels Le miroir de l’homme

mars 2008 | Le Matricule des Anges n°91 | par Didier Garcia

Prix Goncourt 1953, Les Bêtes de Pierre Gascar est un recueil dérangeant : l’animal s’y montre l’égal de l’homme. Notamment pour le pire.

Les six nouvelles de ce recueil ne brillent pas par leur intrigue : un jeune garçon joue l’apprenti boucher durant ses vacances d’été, un homme consacre sa vie à l’entraînement de chiens de combat, une équipe d’égoutiers s’acharne à dératiser une ville, un couple s’installe dans une chambre meublée, un groupe de prisonniers lutte pour sa survie en dérobant la nourriture destinée à la ménagerie d’un cirque… Rien de plus éloigné de Pierre Gascar que ces intrigues qui courent d’une péripétie à une autre : ici, il ne se passe presque rien ; et s’il se produit quelque chose, ce n’est souvent qu’un événement anodin, que le contexte transforme bientôt en tragédie. Les intrigues s’étirent donc avec une sorte de lenteur maladive, comme si l’épaisseur des phrases les empêchait de couler. Une phrase faite de méandres, rigoureuse à la perfection dans sa syntaxe, affichant un respect scrupuleux pour le subjonctif imparfait, et dont la précision du lexique, dont l’éclat lunaire, un je-ne-sais-quoi de minéral, rappellent la phrase de Julien Gracq, et en tout premier lieu celle d’Un Balcon en forêt (1958).
Ces textes se développent à l’intérieur d’un cadre qui varie peu : on y retrouve la guerre (ou sa proximité), la nuit (ou sa périphérie), la pluie, parfois l’orage, et une folie qui guette aussi bien l’homme que la bête. Une folie, ou mieux encore une inquiétante étrangeté : ce sont toujours des ambiances troubles, opaques, mystérieuses, oppressantes. Rapidement, le lecteur éprouve l’impression qu’un danger couve, qu’une terrible menace pèse sur le destin de chaque personnage. Quant aux situations, elles ne sont guère reluisantes ; elles puent l’angoisse et la mort : « Les litières pourrissaient, l’atmosphère des écuries devenait irrespirable, les bêtes mouraient par dizaines. »
Pierre Gascar (1916-1997) a bien choisi son titre. Pour son pluriel surtout. Le nouvelliste n’a pas fait dans la demi-mesure : vous trouverez ici des bêtes de boucherie, là huit cents chevaux (tenus en bride on ne sait par quel miracle technique), ailleurs (dans un chenil militaire) près de cent trente chiens, ailleurs encore une armée de rats, dont les seuls soucis sont d’échapper aux égoutiers et de se reproduire à leur aise… Une profusion, comme s’il était besoin, en ces sombres années de guerre, voire d’immédiat après-guerre, de tout ramener au règne animal. Ou comme s’il fallait révéler par l’excès le vrai caractère de la bête. Son naturel ne va pas à la tendresse : un soir d’orage, des palefreniers se sont fait arracher des morceaux de chair au visage par des chevaux affamés. Rien d’amical donc dans toutes ces présences ; inutile de chercher auprès d’elles le moindre réconfort : l’animal apparaît ici comme le plus grand ennemi de l’homme, chacun véhiculant avec lui une image de la guerre, et témoignant d’une authentique difficulté à vivre avec les autres. Même un chat parvient à lui seul à rendre sinistre la première chambre d’un jeune couple, et à faire naître chez une jeune femme de coupables désirs de meurtre.
Qu’en est-il alors de l’homme, quand les événements le placent au milieu de cette débauche animale ? Hommes et bêtes sont logés à la même enseigne, voués à la même horreur, promis exactement à la même agonie. Que l’on soit soldat, prisonnier de guerre, veau ou bien rat, il semble bien que l’on meure de la même manière, sans honneur et sans gloire. Et au fond, les hommes ne valent guère mieux que les bêtes : s’il leur arrive d’échanger des propos, c’est toujours à couteaux tirés, à mi-chemin entre la simple inimitié et une farouche hostilité.
L’univers de Pierre Gascar est ainsi, situé au plus loin de la nuance : seule la brutalité régit les relations, qu’elles soient humaines ou animales. Et quand les deux univers se rencontrent, cela se fait toujours contre l’homme (quand bien même ce dernier serait boucher), car au contact de la bête l’homme sombre rapidement dans la folie.
Quel sens convient-il de donner à ce terrible florilège, qui fascine par sa violence mais séduit par la beauté de sa langue ? Peut-être faut-il s’en remettre à Pierre Gascar lui-même et relire les dernières lignes de son recueil : « À chaque instant, la bête peut changer : nous sommes à la lisière. Il y a le cheval dément, le mouton rage, le rat savant, l’ours impavide, sortes d’états seconds qui nous ouvrent l’enfer animal et où nous retrouvons, dans l’étonnement de la fraternité, notre propre face tourmentée, comme dans un miroir griffu. » Ces bêtes ne seraient donc présentes que pour révéler l’animalité de l’homme, telle qu’elle apparaît dans la dernière nouvelle, où un mannequin humain servant à l’entraînement de chiens destinés au combat se transforme à son tour en une dangereuse créature ? C’est fort possible : l’écrivain avait derrière lui l’éloquence de deux guerres et leur sauvagerie. Reste que le miroir griffe, et que ces retrouvailles avec l’homme tel qu’il est (on songe ici aux sentences de Pascal) ne laissent pas serein. Seul refuge pour le lecteur : la langue de Pierre Gascar, que chaque nouvelle phrase pousse toujours vers davantage de beauté.

Les BÊtes
Pierre Gascar
Gallimard,
« L’Imaginaire »
210 pages, 5,64

Le miroir de l’homme Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°91 , mars 2008.
LMDA PDF n°91
4,00