Un dimanche d’octobre 1951, dans sa villa, l’une des plus fameuses actrices du moment est retrouvée morte dans sa baignoire. Il s’agit de la plantureuse et sulfureuse Lola Cortez. À l’écran, on ne verra donc plus « ses décolletés profonds, ses longues jambes dorées, ses œillades noires et meurtrières ». Un flicard reconverti comme privé, Pierre Vernet, est tout de suite sur le coup. Il ne saurait se contenter de la version officielle. La crise cardiaque, il n’y croit pas une seconde, et pour cause : Lola l’avait engagé pour surveiller son entourage, qui l’inquiétait. Sur le moment, il a d’abord cru à cette paranoïa dont les divas sont coutumières ; mais voilà qu’elle meurt dans des circonstances plus qu’étranges. Aussi mène-t-il l’enquête, ne serait-ce qu’en mémoire de celle qui faisait, parmi d’autres, chavirer Errol Flynn. Et puis, soyons justes, Vernet en pinçait un peu pour elle.
D’abord publié en 1980, ce polar de facture classique, sans prétention, signé Jean-Pierre Enard, est le récit méthodique, enlevé et souvent drôle d’une enquête dans le milieu du cinéma français de l’après-guerre. Où notre privé découvre que dans l’arène du technicolor, toutes les âmes sont grises. En cherchant un coupable, Vernet apprend surtout à mieux connaître la victime, grande prêtresse des salles obscures, mangeuse d’hommes au passé aussi trouble que ses fréquentations étaient troublantes. La nostalgie qui se dégage de ce livre, l’un des sept romans de l’auteur, où des vedettes bien réelles donnent la réplique à des seconds rôles plus vrais que nature, est d’autant plus vive que l’auteur s’applique à la contenir. Mais elle déborde. C’est l’enfance d’Enard qui remonte : en 1951 il avait 8 ans, exactement le même âge que le narrateur, le fiston de Pierre Vernet.
La Reine du Technicolor de Jean-Pierre Enard
Finitude, 171 pages, 15,50 €
Domaine français Les âmes grises
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Les âmes grises
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°92
, avril 2008.