Il ne faut pas plus de deux pages à Marie Didier pour imposer son style. « Bridge », premier des vingt et un textes courts rassemblés ici, aborde l’angoisse du vieillissement sous l’apparence d’une ironie mordante. On en sort en souriant, berné par une phrase méandreuse qui accouche d’un burlesque surprenant. « Exil », qui suit, fait un long plan panoramique sur une foule d’insectes échoués sur une plage, et mourant. Le destinataire (tous les textes sont écrits à la deuxième personne du pluriel) observe méticuleusement ce petit peuple, puis rejoint ses amis autour d’un barbecue. Ça pourrait être rien du tout, et pourtant, l’indifférence des convives sur le sort des insectes, après la richesse descriptive de leur sort, fait penser à ces holocaustes dont on parle et qu’on n’empêche pas. Premier uppercut. Légèrement ébranlé, le lecteur sera cueilli au troisième round par un poids lourd. « Escalade » raconte la visite chez sa gynécologue d’une femme obèse : « elle mettra longtemps pour enlever sa culotte. La montagne du ventre lui rend en effet problématique la flexion du torse pour tenter d’attraper de sa main boudinée s’agitant au bout d’un bras qui semble ainsi trop court le slip qui finit non sans mal par atterrir sur le carrelage. » Mais au bout des efforts du médecin pour écarter les parois vaginales « le col vous fait la surprise de se dégager brusquement de ses ténèbres viscérales pareil à un bijou de nacre (…) d’un rose si délicat. » Ainsi la cruauté du regard peut conduire à la mise au jour d’un trésor, une découverte qui, à elle seule, vaut de rester sur le ring.
Dans cette célébration de la vie, on retrouve à nouveau chez Marie Didier cette attention portée à ceux qui ne reçoivent que mépris ou indifférence : deux textes sonnent comme une condamnation de nos actes. Le premier, « Dehors », nous présente un sans papier menacé d’expulsion et le racisme ordinaire des bons Français, l’autre, « Tes yeux seuls… », saisit la révolte d’une SDF qui s’offre la liberté d’arracher sa nourriture à l’étalage d’un supermarché. Le livre se clôt avec une patiente à l’hôpital que l’humiliation n’atteindra plus. Elle a fait de sa maladie un chemin vers la sagesse. Lumineux.
Morte-saison sur la ficelle et autres récits Gallimard, 137 pages, 12,90 €
Dossier
Marie Didier
Coups d’éclats
juin 2008 | Le Matricule des Anges n°94
| par
Thierry Guichard
Un auteur
Un livre
Un dossier