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Intemporels Souvenirs de la zone

juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95 | par Didier Garcia

Premier livre de Louis Calaferte, Requiem des innocents fouille les terres de l’enfance rongées par la misère et la crasse. Un cri de révolte.

Requiem des innocents

Rien de tel sans doute que la ville ou la rue pour observer l’homme : « Pour toucher, pour voler un peu de vérité humaine, il faut approcher la rue. L’homme se fait par l’homme. Il faut plonger avec les hommes de la peine, dans la peine, dans la boue fétide de leur condition pour émerger bien vivant, bien lourd de détresse, de dégoût, de misère et de joie ». Pour y croquer l’homme donc, et si l’on n’y dégote pas l’homme, on y trouvera sans doute l’enfant. Que fait d’ailleurs l’enfant dans la rue ? Sous la plume de certains romanciers (on songera par exemple à Valéry Larbaud, chez qui l’enfant vit encore dans le vert paradis des amours enfantines), on l’y surprend à chanter des comptines, réciter ses tables de multiplication, à jouer, à s’imaginer à la tête d’une armée, et parfois à courir, quand le soleil y met du sien. Chez des écrivains plus sombres, il s’en trouve pour y faire mille sottises, terroriser les plus faibles (« qui se sentent universellement coupables. Coupables de n’être qu’eux-mêmes »), commettre un crachat, jeter un caillou, certains jours s’encanailler…
À en croire ce Requiem des innocents (et d’ailleurs pourquoi ne croirait-on pas ces proses qui parlent vrai et qui sentent l’autobiographie à chaque ligne ?), l’enfant Calaferte (1928-1994) a profité de la rue pour y traîner sa jeune existence, le désespoir aux lèvres avant les premières cigarettes. Il faut dire que sa rue n’invitait guère à la gaieté, encore moins aux facéties. Sa rue, c’était celle du ghetto, un ghetto parmi d’autres, livré au lecteur sans que jamais ne soit nommée la ville qui l’entoure. Un ghetto sans doute semblable à beaucoup d’autres, peut-être représentatif à lui seul de tous les autres. Et si l’enfant Calaferte y court, c’est après un chien, malade par surcroît, blessé, déjà amputé d’une patte, dans le seul but de le tuer. De préférence à coups de cailloux. Ce n’est certainement pas la manière la plus noble de tuer un chien, mais pour évacuer toute sa « rage d’être un zonard, de compter parmi les déchets, les sous-hommes », c’est terriblement efficace.
Dans cette rue, qui s’étire quand même sur plus de deux cents pages, à vrai dire, rien de bien reluisant : des voix avinées par exemple, qui vous assurent que Jésus n’a pas été crucifié mais écrabouillé ; des odeurs d’urine ; de la violence, mais alors une violence brute, presque animale ; des enfants prêts à tout, car « rien au monde n’est plus féroce, vicieux, criminel qu’un enfant » ; et des concours de crachats, le samedi matin. Mais plus encore : de la zone, de la misère. De la pauvreté à ne plus savoir qu’en faire. Sinon à en vomir. À vous dégoûter de la vie.
Calaferte parle de la rue en homme qui sait, qui a vu la saloperie d’assez près. Qui l’a vue trop souvent pour avoir pu l’oublier. D’ailleurs, cette rue, c’est son port d’attache. Il y a rêvé, caressé ce rêve « universel des pauvres qui cherchent à émerger du chaos ». Une rue dans laquelle il n’y avait parfois plus qu’un seul mot auquel se raccrocher, un mot qui traînait, sans que l’on sût vraiment pourquoi : il était là, ne restait plus qu’à l’empoigner. « Chicago » par exemple : « Ça nous bouleversait l’imagination. Ça fermentait en nous. À gros bouillons. On n’en dormait plus. On ne parlait que de Chicago du matin au soir, à pleins tubes. Chacun avait son mot à dire. Sa fiction à ajouter. » Et une fiction, dans le quotidien du ghetto, dans toute cette grisaille, c’est toujours un peu d’air en plus, un semblant de liberté ; une présence qui aide à tenir debout.
Cette rue, c’est enfin celle des autres enfants, ses compagnons d’infortune. Les enfants de son enfance. Autant de miroirs de son propre passé : « Ils sont ma vie. C’est vers eux que se tourne ma mémoire ». De ces êtres qui « laissent un vide réel derrière eux », et « qu’il vous tarde de serrer dans les bras, amicalement, sans un mot, avec le silence du cœur ». Ce sont eux les innocents. Des désœuvrés pour l’essentiel, et des innocents d’une nature particulière, à qui l’on ne donnerait pas le bon dieu sans confession : en chacun, il y a de la graine de vaurien, de la fripouille qui sommeille.
Calaferte avait un peu plus de 20 ans lorsqu’il rédigea ces proses écrites au couteau, ces scènes de rue travaillées avec ses tripes. Inutile ici de chercher de la belle phrase, de l’élégance syntaxique ; dès les dix premières lignes, le ton est donné, de même que la cadence : on en sera quitte pour des phrases courtes, parfois sèches, parfois rugueuses, qui se contentent de dire exactement ce qu’il faut dire. Qui ne disent même que cela. Comme au mot près. Ce qui n’empêche pas Calaferte de prendre son lecteur par la main et de l’entraîner dans sa promenade, avec une générosité qui émeut, pour lui montrer ce que c’est qu’une enfance qui a connu l’humiliation, les vexations, la grossièreté, le sexe, l’alcool, et qui s’est révoltée contre l’autorité, contre l’injustice de la vie, contre ce lupanar qu’était le ghetto. Une enfance qui a quand même fini par passer : « C’est drôle, le temps qui passe. Ça chamboule tout. Ça massacre. Ça enterre les souvenirs. »

Requiem
des innocents

Louis Calaferte
Folio
224 pages, 5,60

Souvenirs de la zone Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°95 , juillet 2008.
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