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Histoire littéraire Objets des délits

janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99 | par Éric Dussert

Dans un album richement illustré, Bruno Fuligni arpente à l’aide des archives de la police l’histoire des mœurs criminelles, source infinie d’inspiration et d’émotion rétrospective.

Dans les secrets de la police

Il y a tout lieu de croire que la naissance de Bruno Fuligni en mai 1968 offre une clé de compréhension de cet homme, par ailleurs secrétaire des débats à l’Assemblée nationale, qui s’est attaché depuis la parution de son étude sur Les Constituants de l’Eldorado (Plein chant, 1997) et de son Histoire des monarchies privées, principautés de fantaisies et autres républiques pirates (L’État c’est moi, Éditions de Paris, 1997), à éclairer l’histoire par le biais des curiosités politiques : élus foutriquets, rois auto-couronnés d’États-en-chambre, solutionneurs de problèmes socio-économiques insolubles ou agitateurs d’idées saugrenues. Au cours de ses recherches dans les archives de la police parisienne, où l’avaient amené son précédent livre, La Police des écrivains (Horay, 2006), délicieux déballage des notes d’indics sur les personnages de Vallès, Willy, Hugo, etc., Bruno Fuligni a mis au jour des pièces à convictions à peu près ignorées. Assisté par un sélect aréopage (Pascal Ory, Michel Winock, Frédéric Pagès, Amélie Nothomb, etc.), Bruno Fuligni vient d’en produire un album qui fera date. Tout simplement fascinant, ce livre largement illustré revient sur les grandes « causes » criminelles du passé, depuis l’assassinat d’Henri IV jusqu’à Mai 1968.
Pas très littéraire tout ça ? Que si ! À travers près de huit cents documents inédits (du registre d’écrou de Ravaillac au permis de séjour de Trostky en passant par les premiers clichés anthropométriques de Bertillon, des armes meurtrières ou le registre des « horizontales » du Second empire), on se trouve replacé devant une foule de faits plus ou moins divers, guerriers, crapuleux ou sordides qui ont participé de l’imaginaire collectif et constitué de fortes sources d’inspiration aux artistes et aux écrivains. Parlons seulement de Cartouche ou de Violette Nozières, si chère aux surréalistes, et tout s’éclaire. Les surprises sont nombreuses, émouvantes souvent lorsque les photos rappellent les pauvres visages d’enfants des anarchistes des années 1893 (autrement plus « terroristes » que les empêcheurs de rouler droit qui s’en prennent au tgv), les « de cujus » occis, les exécutions capitales… Décapitant lui aussi, l’humour noir de Landru, le « Casanova meurtrier », qui s’offre en terribles portraits au regard allumé, déclarant lors de son procès : « Si les femmes que j’ai connues ont quelque chose à me reprocher, elles n’ont qu’à déposer plaintes ». On ne peut pas rater non plus le stupéfiant « industriel du crime », le sombre docteur Petiot (arrêté grâce à une astuce de l’écrivain Jacques Yonnet à la Libération), l’affaire du train postal et la souriante voleuse américaine Chicago May, Vidocq, les Apaches aux troubles bobines et aux yeux maquillés, la mort mystérieuse d’Emile Zola… On se perd sans pouvoir mesurer le temps dans ce livre qui nous mène au cœur des mille et une nuits tragiques de la Cité. On y retrouve la véritable histoire des troubles de l’âme humaine et des remèdes que l’on tenta d’y apporter. À coup de matraque…

Qu’ont donc de si fascinant les archives de la police ?
C’est la vie de la capitale qui est fascinante, sa vie cachée surtout. Or, les archives de la Préfecture de police nous renseignent avec une précision extraordinaire sur tous les mouvements émergents, les courants souterrains des deux derniers siècles : les anciens communards, les anarchistes de toutes tendances, les courtisanes, les homosexuels, les premières féministes, les spirites, les poètes, les inspirés… Tous ces milieux sont infiltrés d’informateurs bénévoles ou professionnels, si bien que les rapports des policiers se nourrissent de nombreux ragots, parfois grossis, parfois vrais, qui forment des liasses de petits papiers portant généralement une ou deux phrases cinglantes. Ce sont des textes très vivants, parce qu’il s’agit en général de narrations et qu’ils condensent toutes les passions humaines, jusqu’aux moins aimables. Des textes rarement objectifs en somme, mais pleins de précisions et de nuances.

Que révèlent-ils, d’un point de vue sociologique, des postulats policiers ? Comment le mouchard et le flic imaginent-ils la société et les individus qui s’adonnent à des activités artistiques ?
Disons que, dans les rapports de police, rien n’est jamais supposé gratuit. Le policier - ou son auxiliaire - cherche toujours un mobile, de sorte que l’artiste n’est jamais vu en tant que tel : il désire évidemment de l’argent, du pouvoir ou de l’amour, son art n’est donc plus qu’un moyen de parvenir. Si Gaston Couté est traîné en justice, c’est que « cela lui fait une réclame énorme et remplace son talent qui ne fut jamais grand ». Et quand Victor Hugo connaît un réel succès de librairie avec Histoire d’un crime, il ne fait qu’exploiter la ferveur républicaine des Français pour s’enrichir… Je pense à un rapport de 1940 uniquement consacré aux stations d’André Breton et de Benjamin Péret aux Deux Magots. C’est naturellement pour se livrer à une « activité antinationale » : on n’imagine pas qu’ils puissent juste parler d’art ou de poésie…

Hugo, Breton, Vallès, Feydeau et les autres écrivains que vous évoquiez dans La Police des écrivains subissent-ils un traitement particulier ?
Certains aggravent leur cas par une activité politique - comme le « poète-sénateur » Hugo - ou des frasques sexuelles - comme Verlaine, Tourgueniev ou Willy, si bien que la police pousse l’investigation en faisant appel à des proches, des voisins, des domestiques. Mais les enquêteurs procéderaient de même avec un industriel ou un syndicaliste.

Que trouve-t-on exactement dans ces dossiers ?
Des sources aussi diverses que la presse ancienne, les professions de foi électorales, les comptes rendus de débats parlementaires ou les rapports de police montrent à quel point l’histoire des idées est ironique et mouvante. L’instruction gratuite et obligatoire, le suffrage féminin ont longtemps été vus comme des fantaisies ; à l’inverse, très peu d’hommes ont jugé qu’il fallait prendre au pied de la lettre le programme de l’hitlérisme. C’est pourquoi ceux que vous appelez des « hétéroclites » n’ont pas seulement l’attrait du pittoresque, ils nous révèlent par l’exemple ce qui est admis et ce qui paraît farfelu à un moment du temps. Ils nous obligent ainsi à nous interroger sur notre propre capacité à ériger une dinguerie en vertu. Les dossiers peuvent aussi comporter des photos, des cartes de visite, des lettres volées, certains se feuillettent comme des albums souvenirs, retraçant toute une vie, avec ses périodes fastes et ses moments de détresse. En apparence, ils ont un charme désuet qui appelle le sourire, mais ce sont généralement des situations de grande violence qui se trouvent décrites.

Dans les années 1890, la voie anarchiste implique-t-elle un changement de regard sur les gens de presse et de littérature ? Sur leur « dangerosité » ?
Pas forcément. C’est Ravachol qui est traqué, parce qu’il est passé à l’acte. Ceux qui écrivent, qui créent, qui pensent, sont surveillés bien entendu, mais cela est vrai depuis qu’il y a une police. En outre, un royaliste légitimiste ou un agitateur bonapartiste est aussi bien fiché qu’un révolutionnaire.

Spécialiste des hétéroclites du monde politique, où placez-vous la barre entre l’incongruité et la dinguerie chez eux ?
Je n’ai jamais cherché à tracer une telle frontière. Une idée folle un jour peut sembler étonnamment pertinente dix ans plus tard et banale aujourd’hui. Tout dépend de l’attitude du public. Les prophètes amateurs ne manquent pas, c’est le nombre des disciples qui va les différencier. La police, d’ailleurs, surveille tout le monde, quiconque élève la voix dans le monde des arts ou de la politique : même un personnage lunaire comme Ferdinand Lop, candidat inoffensif à une multitude de scrutins, a laissé un dossier copieux. On ne sait jamais… Voyez le dossier de Trotsky, expulsé de France en 1916, contraint de remettre son permis de séjour qui est resté dans les paperasses. Qui aurait parié à l’époque qu’il serait l’année suivante le diplomate de la révolution bolchevik, négociant une paix séparée avec l’Allemagne ?

Des hétéroclites, souvent charmants, que vous avez évoqués, quels sont ceux qui vous touchent le plus ?
Les idéalistes absurdes, les naïfs absolus me semblent plus fascinants que les fantaisistes ou les provocateurs conscients. J’ai ainsi une tendresse particulière pour Jules Gros, sorte de Jules Verne banlieusard qui apprend un jour par télégramme qu’un caprice de l’Histoire l’a fait plébisciter Président à vie de la république de Counani, en Guyane, mais qui ne parviendra jamais à prendre possession de ses États. Le cas le plus étonnant reste celui de Ferdinand Lop, encore lui : il semble ne pas se rendre compte, il fait tout ce qu’il peut pour ne pas se rendre compte que les étudiants du quartier Latin qui forment son comité électoral, en réalité, se paient sa tête. Plein de foi en son discours, il milite sous le label de Républicain Indépendant de Rénovation sans réaliser que cela fait de lui le candidat du RIR…

Et parmi leurs idées folles, quelle est celle qui vous paraît la plus grandiose ou la plus néfaste ?
Les choses se gâtent quand ces personnages s’en prennent à ce qui les dépasse, comme la dimension du temps. Jules Depaquit, en 1920, propose aux Montmartrois une ambitieuse réforme du calendrier : la semaine de dix jours, le mois de quarante jours, l’année de neuf mois, la suppression des mois de décembre, janvier et février… Jamais d’hiver ! C’est pour rire bien sûr, mais beaucoup de dictateurs, comme Trujillo ou Kim Il-Sung, ont connu la même tentation.

Vous faites partie des fondateurs de l’OuPolPot. De quoi s’agit-il ?
L’Ouvroir de Politique Potentielle fait partie des nombreux Ou-X-Po nés dans le sillage de l’OuLiPo. À l’origine, il y eut même deux OuPolPot, fondés au même moment, l’un par Yves Frémion, l’autre par moi, cette concordance démontrant d’ailleurs la nécessité d’une telle structure… C’est François Caradec, approché de part et d’autre, qui nous a mis en relation, et les deux organisations ont fusionné. L’OuPolPot édite un bulletin, dont le dernier numéro, consacré à la Belgique, envisage différentes sorties de crise à travers plusieurs solutions imaginaires. Parler de « politique potentielle » constitue presque un pléonasme, car celui qui recherche le « pouvoir » est justement en quête de la potentialité. En 2002, j’avais mis au point une matrice capable de combiner et démultiplier les slogans des seize candidats à la présidentielle. Le processus aboutissait à 2 160 formules, dont la plupart laissaient entrevoir des options politiques recevables…

Votre prochain livre, La Parlotte des républicoquins, doit paraître en mars chez Horay. De quoi traitera-t-il ?
C’est un dictionnaire de l’argot politique. Depuis la Révolution, plus d’un millier de mots ou d’expression étranges se sont forgés dans le petit monde politique. Est-il mal de camboniser, chabotiner, bentaboliser ? Que sont devenus les bousingots et les burgraves, les mascurauds et les blocards ? Où siégeaient les puritains, les arcadiens, les picrocholins ? Vaut-il mieux sortir par la porte de Tellier ou par la grille du coq ? Où se trouvent la fosse aux lions, la chambre du cauchemar, le cimetière des ambassadeurs ? Les définitions seront prétextes à anecdotes bien sûr, pour la plus grande gloire de ces « hétéroclites » qui ont fait l’histoire politique française.

Dans les secrets de la police. Trésors inédits des archives de la Préfecture de Police - Dirigé par Bruno Fuligni, L’Iconoclaste, 336 p., 69

Objets des délits Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°99 , janvier 2009.
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