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Poches Façons de douter

avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102 | par Camille Decisier

Devant ce qui contrarie l’amour ou provoque la barbarie, José Emilio Pacheco prouve qu’il n’y a pas de résignation possible. Rééditions.

Batailles dans le désert

Spécialiste de l’œuvre de Borges, Pacheco fournit en 1967 une illustration assez précise de cette filiation dans Tu mourras ailleurs, son premier ouvrage publié. Le terme est choisi à dessein : abordant la Shoah, rien ne doit en effet laisser penser qu’il puisse s’agir d’un roman, genre littéraire de la trahison par excellence. L’action romanesque, pur décorum, y est donc réduite à sa plus simple expression. Délibérément trompeur, le livre est un dédale de propositions construit autour de deux personnages dont on ne sait que ce que l’on en voit : « M », à travers la fente d’un volet ouvrant sur un jardin public, observe « Quelqu’un » qui, assis sur un banc, lit les petites annonces du journal. Pas de lien visible entre ces deux points fixes, mais des dizaines de rampes, d’escaliers, de glissières et de fossés que Pacheco oblige le lecteur à emprunter à sa suite. Il s’agit d’accéder à une représentation du monde labyrinthique, forgée par les hypothèses multiples, régie par la tentation fascinante de l’ubiquité. Il s’agit surtout de faire l’effort de ne pas se limiter au savoir, afin que le savoir, en retour, ne nous limite pas. Le lecteur est poussé à se créer son propre itinéraire parmi les digressions, à résister à la tentation dédramatisante de la fiction. L’écriture minimaliste, volontiers interrogatrice, invite à la concentration (nécessaire) et agit comme un thermostat, empêchant le sang de bouillir et maintenant la tête au frais devant les subterfuges comme devant la réalité, atroce : « M » est un médecin du Reich, ou plutôt un vivisecteur convaincu de pouvoir établir l’immortalité du surhomme aryen. Pacheco tisse autour de son identité une gigantesque toile anachronique dans laquelle viennent se loger les débris semés par la tyrannie humaine (massacre des Juifs de Jérusalem commandité par Titus, destruction du ghetto de Varsovie, bannissement des Sefardim espagnols au XVe siècle) et sur laquelle circule, arachnéenne, une pensée qui questionne aussi bien les mécanismes de l’Histoire que ceux de la mémoire : qu’est-il possible de rapporter sans digression ? Est-il possible de savoir sans avoir préalablement erré ? « Son histoire est invraisemblable. Comme toutes les autres. Comme toute histoire codifiée ou non à laquelle par paresse nous accordons crédit. » Dans le sillage de Borges, Pacheco affirme que rechercher des preuves ce n’est pas réfuter la réalité des faits : c’est déjà y croire. La connaissance commence là où s’épuise le doute.
La posture de l’enquêteur, très fréquentée par la littérature sud-américaine, est une façon d’être au monde ; dans la perspective mexicaine, elle relève de l’instinct de survie, tente une résistance à la manipulation collective et interpelle un pouvoir de plus en plus malveillant. C’est en 1981 que paraît Batailles dans le désert, court roman intro- et rétrospectif qui confronte violemment l’ingénuité de l’enfance au durcissement d’une société moralement et religieusement cadenassée (nous sommes en 1948, sous le gouvernement d’Alemán Valdés). Il évoque l’amour éperdu d’un enfant pour une femme mariée - pas n’importe laquelle : la mère très américanisée de son camarade d’école Jim, qui incarne un mirage d’ouverture mentale, de liberté et de confort domestique. « A cette époque, elle était la plus belle du monde et je pensais à elle à chaque instant. Si haut soit le ciel dans le monde, si profonde soit la mer profonde. »
Qu’est-il possible de rapporter sans digression ?
Passionnément vécu par le narrateur, bien que jamais réalisé, cet amour foudroyant est découvert, calomnié, souillé et voué à expirer dans une double impasse (le cabinet d’un psychiatre et l’oreille d’un prêtre). Carlitos, diagnostiqué hérétique et déséquilibré mental, est désavoué par sa famille et doit changer d’école en attendant que se dissipe la honte de sa conduite. Batailles dans le désert est une plaidoirie en faveur de l’imagination, et le récit d’une douloureuse mise au monde adulte, au cours de laquelle l’enfant pressent être lui-même délimité par une série de carcans dont l’arbitraire écrase toute pureté. Nul besoin d’expliciter la métonymie. À l’annonce du suicide de la femme aimée, Carlitos va ressentir le besoin impérieux de rechercher les preuves matérielles de sa mort. Ici encore, la narration débouche sur un refus absolu de se résigner à la réalité telle qu’elle a été prononcée et entendue. « Ils ont démoli le quartier Roma. Cette ville est achevée. Il n’y a pas de mémoire du Mexique de ces années-là. Et cela n’intéresse personne : qui pourrait avoir la nostalgie de cette horreur ? Tout est passé comme passent les disques dans l’appareil. » Indépendante de tout mouvement artistique ou politique, l’œuvre de José Emilio Pacheco, né en 1939, est plus poétique que romanesque ; elle recevra en 2004 la première édition du prix Pablo Neruda. Qu’elle soit érudite et bourrée de références historiques, ou simplifiée à l’extrême, la langue de Pacheco ne se cache pas pour questionner. Et ses questions sont troublantes justement parce qu’elles ne nient pas que nous tous en sommes les objets.

José Emilio Pacheco Tu mourras ailleurs, traduit de l’espagnol (Mexique) par Gérard de Cortanze, 184 pages, 8 et Batailles dans le désert, traduit de l’espagnol par Jacques Bellefroid, 92 pages, 6 , La Différence, « Minos »

Façons de douter Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°102 , avril 2009.
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