N’était le mal qu’il fit, se souviendrait-on du Père Garasse ? À l’origine de la cabale valant au poète Théophile de Viau d’être exilé, emprisonné, épuisé, on lui avait d’abord interdit la prédication, tant la violence de ses sermons écorchait les oreilles. Pour traquer l’irreligion, il lui restait alors les pamphlets : ainsi, en 1623, La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps ou prétendus tels, contenant plusieurs maximes pernicieuses à la Religion, à l’Etat et aux bonnes Mœurs, combattue et renversée par le P. François Garassus de la Compagnie de Jésus. Ouf : on comprend que François entend nettoyer jusque dans les coins ; et derrière le titre, c’est bien un dédale inquisitorial de chapitres et maximes, tout un système délirant où surnagent d’innombrables « abominations » et « exécrables forfaits », et où les cibles libertines se voient traînées dans la boue sonore de Garasse un titre de section (presque) au hasard : « Preuve de la sottise de nos jeunes veaux ».
Cette Doctrine curieuse est ici reproduite avec luxe : quelques fac-similés, une jolie maquette, des notes habilement intégrées à la page. Regrettons juste que la longue présentation se contente d’enfoncer le clou voltairien des libres-penseurs-broyés-par-l’obscurantisme-religieux il faut dire qu’on est dans la collection « Bibliothèque hédoniste », et approximativo-libertaire, de Michel Onfray, méconnaissant par là la situation très particulière de Garasse : dernier officiant d’une langue d’invectives et d’outrances, il ne fut que méprisé par ses collègues jésuites et dans le vent partisans eux aussi de l’ordre, mais d’un ordre désormais policé. Comme on dit dans le vénérable Dictionnaire des lettres françaises : « le Père Garasse n’avait pas la manière ».
La Doctrine curieuse… de François Garasse, Encre marine, 962 pages, 55 €
Histoire littéraire Maudit Garasse
avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102
| par
Gilles Magniont
Un livre
Maudit Garasse
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°102
, avril 2009.