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Égarés, oubliés Scabreux librettiste

avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102 | par Éric Dussert

Figure tonitruante d’un siècle troublé, Etienne de Jouy l’Hermite chroniqueur n’avait qu’un dieu : Voltaire.

Académicien désormais sans audience, Étienne de Jouy ne fut pas n’importe quelle figure de l’âge révolutionnaire : il fut l’aventurier-type, doublé du polygraphe total, et si versatile qu’on ne voit guère à qui on le pourrait comparer. Réputée girouette des années troublées de la Révolution, des divers empires et suivantes restaurations, ce va-t-en-guerre, cette grande gueule, dangereuse pour elle-même comme pour son entourage, cet industrieux de l’inconstance aurait pu mal finir souvent et s’en est sorti pourtant en ne goûtant qu’un mois à la prison, pour un simple article biographique qui dissonait aux oreilles de la censure. C’est un comble : il aurait pu à l’instar d’un Blanqui passer des années dans les geôles, ou perdre la tête sous la lame de la guillotine qui en trancha tant, et de plus innocentes.
Né le 19 octobre 1764 à Versailles - sous le nom de Pierre Etienne, fils de marchand de toiles -, Etienne de Jouy se fit d’abord remarquer en quittant tôt le collège de Versailles. Occupé à conter fleurette à une jeune Sophie, notre joli cœur n’avait pour tout bagage, à l’âge de 16 ans, que Voltaire. Capital méritoire il est vrai puisqu’il avait appris par cœur l’œuvre complète de son dieu - le terme n’est pas trop fort : à l’âge mûr, il lui dressera en son domicile du pied de la butte Montmartre un temple votif. Cette particularité culturelle le fit apprécier lorsque, engagé dans la vie militaire, il eut à soutenir des conversations mondaines autant que des appontements. Il y reçut ses premières blessures à 17 ans et en conçut qu’un peu d’éducation supplémentaire ne lui serait pas inutile. Il reprit le chemin de l’école et poursuivit son chemin de feu follet persifleur, avançant parfois dans l’existence comme une balle perdue. Et tout d’abord en Inde, où ses actes de bravoure amoureuse et ses chasses au tigre avec le maharadja le rendirent célèbre. Par la suite, rentré au pays, il est peu de dire qu’il agit à nouveau imprudemment, notamment lorsque sous la République, il scandait ses cheminements d’officier de propos royalistement provocateurs. Ses proches et ses protecteurs le payèrent parfois, l’un de sa vie.
Tel qu’envisagé par Michel Faul dans Les Aventures militaires, littéraires et autres d’Etienne de Jouy (Séguier, 198 pages, 19 ) biographie d’amateur documentée qui n’approfondit rien, Etienne de Jouy serait essentiellement une espèce de girouette. D’un point de vue littéraire, il est clair qu’on envisagea son œuvre avec un peu de dédain - et pourquoi pas ? ses livrets ne sont plus ni joués ni chantés, c’est un fait. Dans sa correspondance, Stendhal proposa une analyse qui pourrait être appliquée à tant d’autres : « M. de Jouy est le book-maker à la mode ; c’est un homme aimable et ses livres aussi sont aimables, mais sans aucune profondeur ; cela même est un avantage qui se paye fort cher. La profondeur serait un défaut dans le vrai book-maker. Un livre pour se bien vendre doit : 1° avoir un joli titre ; 2° être écrit sur un sujet à la mode ; 3° être facilement compris ».
Au-delà de la position mesurée d’un Stendhal et compte tenu de la position imprudente de de Jouy dans la querelle des Anciens et des Romantiques (il préféra naturellement les Anciens), un signe aurait dû mettre la puce à l’oreille cependant. Ce sont en effet les grands chroniqueurs du XIXe siècle qui soulignèrent avec le plus de constance sa figure : Auguste Vitu, Charles Monselet, et jusqu’à notre cher Philarète Chasles, qui fut son secrétaire, tous laissèrent du polygraphe à ressorts une trace. Parfois ambivalentes, ces attentions signalaient à l’évidence qu’ils avaient l’importance posthume du personnage et de certains de ses écrits diffusés par voie de presse - Étienne de Jouy fut un redoutable rédacteur de La Minerve, du Miroir, du Constitutionnel, etc. - et plusieurs réunis en volume où, sous l’autorité de l’Hermite de la Chaussée-d’Antin, de l’Hermite en province, de Guillaume le Franc-Parleur, il inventait en prenant modèle sur Louis-Sébastien Mercier (1740-1814), la chronique moderne dont son siècle usa tant, et jusqu’au milieu du siècle dernier des Francis de Miomandre.
Ainsi, L’Hermite de la Chaussée d’Antin ou Observations sur les mœurs et les usages parisiens au commencement du XIXe siècle (1812-1814), Guillaume le Franc-Parleur, ou Observations sur les mœurs françaises au commencement du XIXe siècle (1815-1817) restent de grands moments, et la preuve qu’Étienne de Jouy lançait un style, un ton nouveau. On l’a nommé depuis la littérature panoramique. Mais les honneurs le fuyaient et après avoir longtemps concouru pour entrer sous la Coupole, il obtint enfin en 1815 d’entrer à l’Académie. Bien plus tard, en 1861, il obtint sous Louis-Philippe, ex-exilé comme lui, et la légion d’honneur et un poste de bibliothécaire en chef à la bibliothèque du Louvre. Alors le poète lyrique et tragique, le dramaturge, le librettiste en vue, le collaborateur du fameux peintre de marine Louis Garneray, le polygraphe entra dans le déclin de son existence. Soutenu par sa fille, laquelle avait animé avec beaucoup de grâce son salon littéraire aux temps de sa splendeur d’homme de lettres, il finit ses jours au château de Saint-Germain-en-Laye le 4 décembre 1886.
Trente ans plus tard, Apollinaire, érudit amateur de littérature leste que l’on sait, se souviendra du personnage : « Ceux qui n’ont connu M. de Jouy que dans son âge mûr ou par ses œuvres, généralement d’un genre sérieux, auront de la peine à se figurer tout ce que dans sa première jeunesse il apportait d’agrément, de charme, d’entrain vraiment français dans les relations du monde. C’était le trait de Rivarol avec la verve intarissable de Beaumarchais. » Et on le bouderait ?

Scabreux librettiste Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°102 , avril 2009.
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