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Intemporels Méditation japonaise

avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102 | par Didier Garcia

Avec cette fresque familiale, Junichirô Tanizaki (1886-1965) tisse autour du mariage un roman-fleuve. Et surtout envoûtant.

Alors qu’il ne couvre qu’une vingtaine d’années (du lendemain de la Grande Guerre à la veille de Pearl Harbor), ce roman surprend par sa lenteur. Après les cent premières pages, on se demande même par quel miracle il va encore pouvoir tenir pendant 800 pages. Et non seulement il tient, mais il parvient même à emporter le lecteur.
La famille Makioka compte quatre sœurs : deux sont mariées (Satchi Ko et Etsou Ko), les deux dernières sont à marier (Youki Ko, et la plus jeune : Tae Ko). Selon la tradition japonaise (dont on ignore si elle ne s’applique qu’à cette époque ou si elle est encore en vigueur aujourd’hui), Tae Ko ne pourra se choisir un époux que lorsque ses aînées auront convolé en justes noces.
Au début du roman, c’est donc Youki Ko qui occupe le devant de la scène. Pour sa famille, rien de plus urgent que de la mettre en ménage, et donc de lui présenter des prétendants. Dès que la perle rare est dénichée, il faut respecter la procédure traditionnelle, à savoir organiser une entrevue en bonne et due forme, tout en menant une enquête aussi rigoureuse que possible sur la famille de l’élu potentiel, sur sa situation, ses comportements, quitte à recourir à une agence de renseignements. Une fois la date fixée, il reste à espérer que rien de fâcheux ne vienne bousculer le programme, or, par un fait exprès, les contretemps se multiplient : c’est tantôt une fausse couche qui retient tel membre de la famille, tantôt une grippe qui cloue tel autre au lit… Et lorsque l’entrevue a lieu, encore faut-il que le prétendant trouve grâce aux yeux de Youki Ko, qui s’applique, avec une constance toute romanesque, à rejeter les hommes qui lui sont présentés.
Quatre sœurs progresse donc de négociations en négociations, entre lesquelles s’intercale un événement d’une rare intensité poétique : la floraison des cerisiers, qui pousse chaque année la famille vers les mêmes lieux. Il arrive aussi que le roman sorte un peu de son lit à la faveur d’un événement imprévu, comme cette inondation spectaculaire, durant laquelle Tae Ko échappe de justesse à la mort. Mais la tragédie à peine évitée, le roman s’en revient naturellement à la nécessité de marier Youki Ko.
Il y a lenteur dans la narration, mais aussi lenteur des sœurs elles-mêmes, qui passent leurs jours à paresser, menant une existence de bourgeoises pour qui la vie se résume à se rendre au théâtre, au restaurant, à l’institut de beauté, se choisir un kimono et jouer du piano… Autant dire qu’il ne se passe pas grand-chose. Et pourtant, le lecteur est pris. Et quand bien même il ne se passerait rien d’autre, il resterait pris. Le dispositif romanesque y est pour beaucoup : l’obstacle familial, qui prive Tae Ko de mariage tant que dure le célibat de sa sœur, parvient à lui seul à maintenir le suspense sur près de 900 pages. D’autant plus que les deux cadettes s’opposent radicalement : si Youko Ko, pleine de discrétion et de pudeur, décline les offres qui lui sont faites, Tae Ko, beaucoup plus libérée, n’hésite pas à compromettre l’honneur de sa famille en vivant publiquement des relations plus ou moins aventureuses.
Il parvient à endormir la vigilance du lecteur.
À cent pages de la fin, la donne n’a guère changé : la famille Makioka n’est toujours pas tirée d’affaire. Une énième proposition tombe d’ailleurs fort à propos. On ne dira pas si elle aboutit, mais on n’en repart pas moins dans les méandres des négociations…
On pourrait presque lire ce roman comme un document sur la société japonaise de l’époque, où tout semble régi par le code de l’honneur (on y apprend, par exemple, que l’idéal pour une fille est de faire un bon mariage, devenir une bonne épouse puis une bonne mère ; inutile donc pour elle de songer à travailler, ou, comme Tae Ko, s’imaginer partir étudier en France, fût-ce la couture européenne). Mais cela reviendrait à ne lire que la toile de fond du roman, qui mérite davantage qu’une lecture superficielle.
Quatre sœurs est beaucoup plus que la peinture d’une société. C’est avant tout un roman qui semble taillé d’une seule pièce dans une conversation de salon, mais un salon où l’on cultive le bon goût, où l’on a pris l’habitude de ne pas parler trop fort et de veiller au bien-être des invités. Avec des phrases qui, sans être particulièrement denses, coulent les unes après les autres avec fluidité, finissant ainsi par imprimer leur cadence, Tanizaki parvient à endormir la vigilance du lecteur, ou à l’installer dans une sorte d’état méditatif. Çà et là, un événement funeste le rappelle brutalement à la réalité, mais les chuchotements retrouvent vite leurs droits, et le lecteur retombe de plus belle dans cet univers familial. Une assemblée de femmes qui l’hypnotisent depuis les premières pages et qui continuent, jusqu’à la fin, à le maintenir sous le même enchantement.

Quatre sœurs de Junichirô Tanizaki - Traduit du japonais par G. Renondeau, Folio, 896 p., 10,60

Méditation japonaise Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°102 , avril 2009.
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