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Zoom Le temps en partage

juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104 | par Lucie Clair

Travail remarquable sur la double identité, l’autobiographie fictionnelle mise en œuvre par Fleischer concilie mémoire et imagination.

Moi, Sàndor F.

Je marche dans le présent et mes pas se posent dans le passé ». annonçait Fleischer en octobre 2008 dans son très bel essai sur le cinéma et la photographie Les Laboratoires du temps (Galaade). C’est une quête persévérante pour cet homme orchestre - il est cinéaste, photographe et dirige le studio national des Arts contemporains (Le Fresnoy) - d’étudier « la machinerie du temps ». Cette conscience aiguë tient aussi à son histoire personnelle.
Descendant de juifs hongrois immigrés à Paris, comme tout témoin ou descendant de déporté, il s’inscrit malgré lui dans un temps décalé - le sien et celui de l’autre, du parent confronté à l’horreur. Temps scellé par le secret, le deuil, il crée un lien qui transcende les générations. Ce qui se transmet est un temps qui ne passe pas, propre au traumatisme, temps figé du passé, inatteignable et pourtant obstinément là. Temps mutique, temps de l’Autre. Pour éclairer, alléger, rendre les morts aux morts, concéder une paix, ne reste que la voie étroite : accueillir en soi cette part d’indicible et lui rendre justice.
Jusque-là, la trame romanesque lui a permis de rendre compte des ravages de l’Histoire, en cerner Les Angles morts (Seuil, 2003). Avec Moi, Sàndor F., il franchit une étape supplémentaire, offerte par le principe d’une autobiographie fictive, socle de la collection « Alter Ego » de Fayard. Habitué des contraintes, Fleischer a donné là bien plus qu’un exercice de style, posant les fondations d’une troisième voie, entre les récits concentrationnaires d’Imre Kertész, Primo Levi, Robert Antelme et l’écriture de l’indicible - ce que Varlam Chalamov désignait comme la capacité « d’explorer au moyen de l’art un thème terrible » dans ses Cahiers -, pour témoigner de la Shoah et de son impact sur les descendants de ses victimes.
Accueillir en soi cette part d’indicible et lui rendre justice.
Sàndor F. est l’oncle paternel de l’auteur. Le neveu a reçu en partage de nombreux traits de l’oncle, décédé « le dos et la colonne vertébrale frappés et brisés à coups de crosse de fusil par un soldat allemand qui s’impatientait de ma résistance à monter dans le wagon ». Ressemblance physique, goût pour la photo et le cinéma, pour les jeunes filles - même geste de vouloir dénouer le tablier de l’accorte soubrette, même prénom - Alain étant un dérivé permettant de franciser le prénom d’origine. Similitudes accentuées par le fait que l’oncle est mort quelques mois après la naissance du neveu, qui portera sa chevalière miraculeusement retrouvée, comme s’il avait voulu lui « passer une sorte de relais ».
Scandée par le motif répétitif et point d’ancrage du lecteur « J’imagine, je me souviens », l’autobiographie de Sàndor réconcilie la dimension imaginaire du survivant et la mémoire oubliée du disparu. La volonté littéraire, à la fois absolue et toute en finesse, est de cerner au plus près, d’un côté « les circonstances et les événements qui contribuent à former l’histoire et l’identité d’un être, et d’un autre tout ce qu’il a rêvé, imaginé, espéré, fabulé, et qui constitue l’autre moitié de son identité, de son existence, avec plus de force encore, l’autre moitié du moule d’où sort la forme complète d’un individu, d’un destin. » Le résultat est la création d’une voix unique et non en écho l’une de l’autre, relayant la part du lien secret : « Moi, Sàndor F., je suis né à Budapest, Hongrie, en 1917, et je vais mourir quelque part entre cette ville de ma naissance et la Pologne en ce jour d’avril 1944, à l’âge de vingt-sept ans (…). Moi Sàndor F. né à Paris en 1944, j’aurais pu aussi disparaître à peine âgé de quelques mois, emporté avec mes parents pour une destination sans retour, par une nouvelle rafle de Juifs français et étrangers dans Paris ». L’identification autorise alors la traversée de « vingt-sept années d’une vie ordinaire » d’un jeune homme fauché par les premières vagues de déportation organisées en Hongrie en avril-mai 1944 face à l’avancée de l’Armée Rouge - pour atteindre le rythme de 12000 Juifs par jour. En janvier 1945, quand les Russes entrent dans Budapest, il reste 120 000 Juifs sur les 470 000 recensés.
Avant de mourir, Sàndor revisite les lieux de sa mémoire, emportant le lecteur dans une fresque historique tourbillonnante où « l’insouciance et la joie de vivre » de l’Europe d’avant-guerre se superposent à la montée des persécutions antisémites - tel le voyage à Paris de 1937 le rendant témoin du lynchage du « Juif Blum » par les Croix de feu. En conciliant extrême pudeur et impudeur - à l’instar d’Anett, jeune instigatrice des premiers ébats, offrant dans « une action juste, sincère » une extase partagée inattendue - Moi Sàndor F. devient le témoignage pour lui-même de ce jeune homme gorgé de vitalité, du goût des autres, de la lumière - un être complet sous nos yeux de lecteurs, respectueux et nostalgiques à notre tour.

Moi, Sàndor F. d’Alain Fleischer
Fayard, « Alter Ego », 395 pages, 21,90 e. À lire aussi du même auteur : une très belle articulation temps, images et mots : Descentes dans les villes, trois variations autour d’un thème (Fata Morgana, 74 p., 15 )

Le temps en partage Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°104 , juin 2009.
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