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Poésie Doux sang noir

juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105 | par Richard Blin

De la puissance primitive de Ted Hughes aux hantises de Sylvia Plath, l’univers singulier de deux œuvres majeures.

Personnage romantique à la façon du Heathcliff des Hauts de Hurlevent, Ted Hughes (1930-1998) voit enfin l’essentiel de son œuvre réuni dans Poèmes 1957-1994. Du Faucon dans la pluie au Chant de pluie pour le Duché, en passant par Lupercal, Wodwo, Journal de Moortown, c’est son génie païen qui s’impose. Loin du penser grec et du sentir chrétien, sa poésie est une invite à entrer dans un espace premier où l’intellect rend ses droits à l’instinct et où le monde relève d’une présence brute. Celle des landes de son Yorkshire natal, où il passa une partie de son enfance à vagabonder et à chasser. D’où l’âpre suc de la sauvagerie et l’émoi qui hantent ses poèmes où bêtes et éléments peuvent à tout instant se déchaîner, et où coexistent pulsions de reproduction et pulsions destructrices.
Poésie brutale donc où la cruauté est indissociable de la vie, et nous renvoie au temps d’avant les catégories du bien et du mal sinon aux cultes rendus aux forces cosmiques. Une métaphysique primaire s’inscrivant dans un monde circonscrit par la lune, les étoiles et les collines, les rivières et les bois, les rapaces et les loups, tout un bestiaire de créatures à l’instinct prédateur, dont les figures cardinales sont le jaguar, expression de l’énergie universelle et symbole d’une force primitive et démoniaque, et le corbeau, la Bête Noire, Crow, dont le cri désolé est « aussi plissé / Que bouche d’une vieille femme / Dont les paupières ont fini / Tandis que continuent à vieillir les collines ». Un personnage des commencements du monde, un « condensé du cynisme humain » (Jacques Darras), une sorte de Maldoror incapable d’entendre le mot « amour ». Mais il y a aussi des brochets, des blaireaux écrasés qui finissent « clou de métal / Planté, en pleine tête, / Dans un poteau en bois d’if », des agneaux nouveau-nés sur lesquels s’acharnent des corbeaux, des libellules « en justaucorps peau de serpent », véritables « beauté dracula ». Car c’est l’éclat du beau - d’une beauté travaillée par la mort - qu’exalte Ted Hughes. Ainsi que le grand réel, le sentiment violent du tragique, l’ici et le maintenant des sensations. Une façon d’être en empathie avec la Nature, de réhabiliter le rôle du corps dans son rapport au monde, de penser avec les yeux, les oreilles et les mains. Une poésie nourrie de cette pensée archaïque plaçant les rêves et les cauchemars sur le même plan que les expériences vécues, et lourde de la tension obsédante de mots tramant la nostalgie de l’absolu au besoin d’infini.
Quel sens donner à une vie et un monde où « la perfection est atroce ».
C’est sans doute cette dynamique de l’imaginaire qui rapprocha électriquement Ted Hughes et Sylvia Plath. Née en 1932 dans le Massachusetts, et arrivée en Angleterre, en 1955, avec une bourse d’études, des poèmes déjà publiés et des rêves plein la tête, elle épousera Ted Hughes en 1956, quatre mois après l’avoir rencontré. Mais sous sa vitalité se cachait un être fragile, traumatisé par la perte de son père, et dejà marqué par une tentative de suicide et plusieurs séjours en établissements psychiatriques. Émotive, sujette à l’angoisse, écartelée entre son désir de réussir son couple et son avidité à vivre et à écrire, elle ne cesse de balancer entre l’effondrement et la joie. Se séparant de Ted Hughes, fin 1962, elle s’installera dans un appartement où avait vécu le poète Yeats, mais, le 11 février 1963, à 31 ans, elle enfonce sa tête dans le four de sa cuisinière et ouvre le gaz.
Ariel, paru deux ans après sa mort, regroupe les poèmes qu’elle écrivit après le départ de T. Hughes. C’est un recueil qui tient autant de la cantate pathétique que du désir d’absolu et de l’exigence la plus tranchante. Voyage intérieur sur les sentiers sombres de l’égarement, ces poèmes, au rythme étrange, déclinent des obsessions de chair et d’os, de lancinantes hantises mais aussi la volupté soufrée d’un corps dénudé de tout alibi - « Pilier de blancheur dans une ténèbre de couteaux » -, et se réclamant de son royaume imaginaire. « Je suis cette demeure hantée par un cri. / La nuit, ça claque des ailes / Et part, toutes griffes dehors, chercher de quoi aimer. // Je suis terrorisée par cette chose obscure / Qui sommeille en moi ». Du sentiment d’être victime d’un mauvais sort, au terrible choix de durer ou de disparaître, c’est l’impossible réconciliation de ses « moi » contradictoires que poursuit Sylvia Plath. Poèmes aussi désenchantés qu’implacables dans leur quête d’un sens à donner à une vie et un monde où « la perfection est atroce ».

PoÈmes (1954-1994) de Ted Hughes, traduits de l’anglais par Valérie Rouzeau et Jacques Darras, préface de J. Darras, Gallimard, 420 pages, 25 et Ariel de Sylvia Plath, traduction de l’anglais, avant-propos et notes par Valérie Rouzeau, Gallimard, 120 pages, 14,50

Doux sang noir Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°105 , juillet 2009.
LMDA PDF n°105
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