Bon nombre des titres de la belle collection « L’Un et l’Autre » s’ouvrent un espace entre fiction et essai. Un écrivain déroule une prose, parfois rêveuse, parfois joueuse, toujours délicate, entre un personnage (historique, littéraire, mort, vivant, inventé, célèbre ou non) et lui-même, entre l’autre, donc, et soi-même. La fiction, alors, est un moyen de dessiner le rapport que l’écrivain entretient avec son sujet.
Stéphane Audeguy, lui, a choisi résolument la forme de l’essai. Nulle fiction ici pour évoquer la figure du dramaturge et romancier Pigault-Lebrun (1753-1835). Il y avait pourtant matière : le dramaturge commence sa vie adulte en prison où son père l’envoya, poursuivit par une carrière militaire où son talent d’amuseur fit merveille, rencontra le succès populaire avec des pièces de théâtre qui épousaient les aspirations du peuple, fut boudé par la critique, sortit le sabre contre le clergé et toutes les religions, après s’être emparé, avec d’autres, un quatorze juillet, de la Bastille, fit rire énormément et fut lu abondamment par Balzac. On aurait aimé voir l’auteur de La Théorie des nuages s’emparer d’un tel personnage comme il le fit (presque) avec son contemporain Rousseau auquel il préféra le frère dans Fils unique.
Les habits de l’essayiste semblent gêner un peu le romancier : trop rigides ou boutonnés trop haut, ils empêchent Audeguy de faire entendre toute l’étendue de sa voix.
Pour autant, s’attachant à suivre dans la discontinuité du livre le « fantôme » qu’est devenu Pigault-Lebrun, Audeguy retrouve avec bonheur cette période de l’Histoire de France qui semble le fasciner. Il est vrai, comme il le souligne lui-même, qu’il peut paraître enivrant de se figurer ce que fut l’existence d’un homme qui connut en une vie : « monarchie absolue, puis constitutionnelle, Première République, dictature, Convention thermidorienne, Directoire, Consulat et Empire, restauration de la monarchie ». Si Pigault-Lebrun est plaisant en héritier de Voltaire, dans sa verve et son comique, nous intéresse plus encore ce qu’Audeguy dit de notre époque. Car, ici, l’essayiste profite des idées de son sujet pour les replacer dans un contexte plus contemporain : ainsi, s’il montre l’échec de l’athéisme de son héraut, c’est aussitôt pour fustiger la médiocrité intellectuelle de notre époque « où le mot de laïcité devient synonyme de « cohabitation harmonieuse de tous les monothéismes » » et qui « reporte souvent sa hargne pseudo républicaine sur les sectes, ce qui est bien commode. »
Afin de nous faire goûter la verve du dramaturge, Audeguy nous donne à lire quelques extraits qui sont autant savoureux qu’encombrés. Mais, dit-il, « aimer Pigault-Lebrun, c’est évidemment l’aimer aussi pour ses défauts ; comme l’ont fait Stendhal, Balzac, Flaubert. » L’éloge, modéré, permet aussi d’entr’ouvrir un art poétique et littéraire qui remettrait le rire à l’honneur. Autant dire la vie. Fustigeant les sérieux et les sombres auxquels on doit d’ailleurs l’oubli dans lequel Pigault-Lebrun est tenu, Audeguy ne se donne-t-il pas une sorte d’esthétique littéraire ?
Les plus belles pages arrivent à la fin de l’ouvrage : Pigault-Lebrun est mort et c’est comme si Audeguy, débarrassé des carcans de son essai pouvait laisser aller sa subjectivité émotionnelle. C’est alors, seulement, qu’apparaît la relation entre l’un et l’autre, et que le salut à l’ancien est prononcé. Il fallait pour cela que l’écrivain jette un costume qui n’avait pas été taillé pour lui.
L’Enfant du Carnaval
de Stéphane Audeguy
Gallimard, « L’Un et l’Autre », 129 p., 13,90 €
Domaine français Fils de la Révolution
novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108
| par
Thierry Guichard
Stéphane Audeguy renoue avec l’époque révolutionnaire, son théâtre populaire et le rire. Une manière aussi d’éclairer, à contre-jour, notre époque.
Un livre
Fils de la Révolution
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°108
, novembre 2009.