Réunissant une quarantaine de textes écrits sur plus de vingt ans (de 1978 à 1999), Littérature et fantôme est un recueil hybride, au sein duquel la satire sociale peut côtoyer l’esquisse biographique, de même qu’on peut y voir Marías explorer sa propre pratique romanesque (laquelle s’est récemment enrichie de Poison et ombre et adieu, publié chez Gallimard, le dernier volume de sa trilogie Ton visage demain) et celle d’écrivains comme Juan Benet, Joyce ou Faulkner. Avec sa majorité de textes courts dépassant rarement sept pages, c’est un florilège qui offre une lecture moins studieuse que nonchalante, comme si Marías souhaitait que son lecteur prenne plaisir à y flâner ; en le faisant passer d’un regroupement de textes à un autre, il le fait parfois basculer du plus profond au plus léger.
Il comporte ce qu’il faut d’auto-dérision, comme lorsque le romancier espagnol s’expose à la Foire du Livre de Madrid, ce qu’il faut d’humour, par exemple lorsqu’il dresse le portrait du postulant au prix Nobel, et quelques coups de gueule bien sentis, comme dans son texte sur l’expropriation posthume des écrivains, dont on publie le moindre déchet, la moindre déjection, sitôt leur œuvre tombée dans le domaine public, sans s’interroger « sur la convenance, la considération ou le respect », ou lorsqu’il fustige ceux qui dédaignent l’œuvre de Faulkner, constatant alors que « le terrain gagné en très peu de temps par la niaiserie est inconcevable ».
Étrangement, ce n’est pas dans les articles consacrés aux plus grands noms de la littérature mondiale que Marías se montre le plus brillant : son résumé du Lolita de Nabokov ne présente guère d’intérêt. Le lecteur trouvera les pièces les plus singulières dans les trois premières sections, et plus précisément dans celles intitulées « L’auteur sur ses écrits » et « Autres vanités ». Il y apprendra par exemple que Marías écrit ses romans à tâtons, sans trame, sans fil conducteur, sans objectif, ce qui lui permet de découvrir l’histoire à mesure qu’elle se crée, ou qu’il écrit pour ne pas avoir à se lever tôt et ne pas avoir de chef, raisons qui ne l’ont sans doute pas incité à écrire mais au nom desquelles il continue.
littérature et fantÔme
de JAVIER MARIAS
Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu
Gallimard, « Arcades », 336 pages, 22 €
Essais Littérature et fantôme
février 2010 | Le Matricule des Anges n°110
| par
Didier Garcia
Un livre
Littérature et fantôme
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°110
, février 2010.