Se saisissant d’une figure historique, Olimpia la papesse insoumise et « déesse de chair aux colères redoutables », Céline Minard déroule une extraordinaire prosopopée : cinquante pages qui menacent de noyer Rome, et qui suffiront en tout cas à régner sur les Lettres françaises.
Dans Bastard Battle (Léo Scheer, 2008), notre Bâtard reçoit une requête en très beau langage, tout bien tourné, d’Enguerrand de Montorrell, qui sollicite combat à cheval dans des formes pareillement classieuses. La réponse ne tarde pas : « garatgl, garatõfyon », et puis : « Vous mentez par votre gorge comme toute la noblesse a toujours menti, mentira encor et tous les jours si elle n’est défaicte et précipitée, ce à quoi je travaille par mon corps tout entier. » Ce à quoi travaille encor la nouvelle Force projetée par Céline Minard : Olimpia Maidalchini. Sa ville natale était Viterbe ; d’une instruction grossière mais suffisante, tôt veuve, elle se remarie avec Pamphilio Pamphili, de trente ans son aîné et de bonne famille romaine, dont le frère règnera dix ans sur l’Église catholique, sous le nom d’Innocent X. Elle, patiemment, intrigua pour son élection : il se dit qu’elle est désormais sa maîtresse, et que c’est elle qui tient les couilles du Vatican, depuis le palais Pamphili de la place Navone et tout près de cette monumentale fontaine des Quatre-Fleuves que vient de concevoir Le Bernin. Ici, le Cardinal de Retz écrit qu’elle « ne faisait rien qu’à force d’argent », et Racine raconte que « c’était la mode de lui envoyer des fleurs ou des fruits dans des bassins de vermeil » ; là-bas, la rue la surnomme Pimpaccia. Innocent meurt en 1655 ; l’Église exige que Pimpaccia rembourse trois millions d’écus ; on la bannit.
Céline Minard sait cela sur le bout de ses doigts, elle qui a sans doute tout lu des mémoires et des légendes qu’elle ramasse dans une très élégante narration, des pages 67 à 91. Mais ces dernières années sont parues tant de rêveries érudites et fictions biographiques… Si brillant soit ce médaillon-là, il ne suffit pas, et la phrase de Marcel Schwob citée en exergue non plus (« La science historique nous laisse dans l’incertitude sur les individus »), à nous électriser : c’est le premier volet, long discours prêté à Olimpia, qui s’en charge. « Je n’entends rien, niente, je ne veux pas être sauvée » : pas d’acte de contrition, pas même un chouïa de restitution, comme le tyran à jamais le martèle de ritournelles en alexandrins : « Je prends, je garde, je conserve et je garde, je ne rendrai pas », « Ce qu’on m’ôte, je le broie, je ne l’offre pas ». À offrir, il n’y a que sa fureur, et la boue dans laquelle elle va traîner Rome et l’Église ; mais quelle fureur et quelle boue. Voilà pour les jeunes vertus qui se signent à son passage : « Un tyran mais bien sûr, mais restez donc sur votre cul à tirer les biques par le pis mes chères filles, et branlez le prince qui passe, il vous fera cadeau d’un rubis ». Voilà pour la Rome baroque bouffie...
Événement & Grand Fonds Putain la lire
mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111
| par
Gilles Magniont
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Un livre