Maurice Renard (1875-1939) admirait son contemporain H.G. Wells et ne cachait pas lui devoir beaucoup pour l’écriture du Docteur Lerne. C’est d’ailleurs à l’auteur de L’Île du docteur Moreau que ce roman, paru la première fois en 1908, est dédié : « De tous les plaisirs que son invention m’a procurés, celui de vous le destiner, certes, n’est pas le moindre », lit-on en préambule. En quelque 250 pages serrées, denses, foisonnantes où l’on découvre une imagination jamais au repos, jamais repue de rebondissements, où l’on chemine au rythme d’une plume tantôt scalpel tantôt baguette magique, Maurice Renard signe assurément l’un des meilleurs livres (avec Les Mains d’Orlac) d’une œuvre somme toute peu abondante.
Dès le début le récit sait se faire captivant. Le retour de Nicolas auprès de son oncle le docteur Lerne, éminent et ombrageux chirurgien retiré en son domaine pour y mener de mystérieuses expériences, en constitue le point de départ. L’accès labyrinthique au château familial, vaste demeure devenue au fil du temps comme un camp retranché, préfigure les tours et détours que va prendre l’histoire. Le lecteur ne sortira que très rarement de ce lieu où Maurice Renard met en scène des personnages cloîtrés, tous ambigus, et quelques-unes des questions essentielles de son travail d’écrivain autour de la science, de ses limites sans cesse repoussées sous l’effet de folles intentions. Le thème autour duquel Renard tisse son intrigue est celui de la greffe et, plus largement, de l’hybridité. En spéculant sur les métamorphoses artificielles, les transplantations ou encore la notion d’interchangeabilité, il questionne, dans la droite ligne d’un Frankenstein, les motivations ou, comme l’on dirait dans une enquête criminelle, le mobile de la science et au-delà du progrès. « De quel droit déranger la Création ? Est-il permis d’en bousculer jusqu’à ce point les vieilles lois ? Et peut-on jouer à ce jeu sacrilège sans commettre un crime de lèse-Nature ? »
Figure par excellence d’apprenti sorcier, Lerne se voit tel un « sous-dieu », comme l’indique le titre complet originel du roman. « Génial peut-être, malade à coup sûr », il appartient de plein droit au club de ces savants fous qui se prennent pour des pionniers et des prodiges mais qui ne sont, au vrai, que des monstres ou des meurtriers. Les expériences auxquelles se livrent le professeur Lerne et ses assistants, et que le trop curieux neveu s’emploie à découvrir à travers une « cohue de péripéties », Maurice Renard les veut le plus véridique possible. Par le trouble qu’il entretient savamment entre réel et surnaturel, l’auteur illustre tout à fait le genre fantastique dont il est à sa manière l’un des représentants. Car l’un des traits du fantastique est de repousser toujours plus loin les frontières du réel, de le troubler. Visant une sorte de crédibilité scientifique, le souci de la véracité, l’art du détail et le sens de la précision de Renard semblent chercher l’approbation du lecteur, d’autant plus captivé sans doute que les faits énoncés paraissent tangibles.
Alternant scènes de genre, épisodes dramatiques, saynètes (presque) drolatiques, considérations scientifiques, le roman contient çà et là quelques longueurs et quelques lourdeurs (c’est le style un peu daté qui veut ça). Mais ce sont des réserves mineures, qui ne détournent en rien de ce roman à dévorer comme un livre à suspense. Car vraiment Maurice Renard se montre un excellent manipulateur de nerfs, très habile en créateur d’atmosphère anxiogène. On tient là une investigation des plus réussies au pays de ce que l’auteur appelait « le merveilleux scientifique ».
Le Docteur Lerne de Maurice Renard
José Corti, 236 pages, 10 €
Poches Savant fou
mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113
| par
Anthony Dufraisse
Les éditions José Corti ravivent la mémoire de Maurice Renard, un des maîtres du fantastique dont Apollinaire vantait " le talent magique ".
Un livre
Savant fou
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°113
, mai 2010.