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Poésie Révolutions poétiques

janvier 2011 | Le Matricule des Anges n°119 | par Richard Blin

Quand le hasard éditorial réunit deux grands futuriens – le verbe incarné de Maïakovski et le verbe absolu de Khlebnikov –, c’est le cœur de la poésie russe qu’on entend battre.

Morts tous deux à 37 ans, Maïakovski (1893-1930) et Khlebnikov (1885-1922) furent les deux grands futuriens russes – terme que Khlebnikov préférait à futuriste.
Première biographie non soviétique de Maïakovski, La Vie en jeu, de Bengt Jangfeldt, un universitaire suédois qui a longtemps vécu en URSS, a connu personnellement des proches du poète et a eu accès à des sources restées longtemps inconnues ou inaccessibles, est l’occasion de redécouvrir un poète tonitruant. Vladimir – ou Volodia – Maïakovski entre aux Beaux-arts, en 1910, avant d’adhérer au futurisme, un mouvement décidé à faire table rase du passé, à « jeter Pouchkine, Dostoïevski, Tolstoï… par-dessus le bord du paquebot de la modernité », et à intégrer la valeur-temps dans l’art. Fauteur de scandales, géant turbulent, il signe son entrée dans la vie littéraire avec Le Nuage en pantalon (1915), long monologue juvénile et rebelle – « Glorifiez-moi !/Je surpasse les grands./Sur tout ce qui a été fait/Je pose « nihil »./Jamais/Rien ne lirai. » Un texte qu’il lit, en juillet 1915, chez Ossip et Lili Brik, qui sont transportés tandis que, de son côté, Maïakovski tombe « irrévocablement amoureux de Lili », selon les mots d’Elsa, la sœur de Lili, sa maîtresse d’alors – et future Triolet puis compagne d’Aragon. Une rencontre décisive pour Maïakovski, qui lui dédiera La Flûte de vertèbres (1916) comme presque toutes ses œuvres futures.
Dans le sillage de la révolution d’octobre 1917, et du sentiment de libération et d’euphorie qu’elle suscita, Maïakovski s’enthousiasme pour un art révolutionnaire mais indépendant. « Je ne dis pas non à la politique mais dans l’art il n’y a pas de place pour la politique. » Mais après L’Homme – sorte de parabole christique mettant en scène le sujet solitaire en lutte contre l’ennemi de l’amour et de la poésie – et au sortir de la guerre civile, les temps deviennent difficiles pour l’avant-garde. Ce qui n’empêche pas Maïakovski de continuer à soutenir sans réserve la révolution. Il travaillera à l’agence de presse Rosta (ancêtre de l’agence Tass), rédigera des slogans publicitaires, célèbrera la Russie des Soviets (150000000), autant que son amour pour Lili (J’aime). Une liaison mouvementée (Lili ne pouvait vivre sans Ossip, vénérait Maïakovski comme poète, mais ne pouvait se satisfaire de lui comme homme et mari) qui finira mal. Vivement critiqué après De ceci (1923) – des poèmes traversés par le lyrisme exacerbé de l’amour impossible – il décide de consacrer toute son énergie à écrire des vers utilitaires et à faire preuve d’un total loyalisme politique.
Il consacrera 3000 vers à Lénine, affirmera que « la plume égale la baïonnette », quele but prime sur le contenu comme sur la forme. Polémiste brillant, bateleur-né, il multiplie lectures et aventures amoureuses, voyage (Europe centrale, Paris, Mexique, Etats-Unis…), écrit Les Bains, puis A pleine voix (1929), qui sont des attaques contre la bureaucratie. L’exposition qu’il organise autour de Vingt ans de (son) travail est boycottée, on lui refuse un visa, et il se sent de plus en plus incompris par des faiseurs de révolution du corps social sans révolution de l’esprit. Confronté à une nouvelle déception amoureuse, il se tire une balle dans le cœur, le 14 avril 1930. Restent l’image d’un homme aux passions extrêmes, et l’œuvre d’un poète à la scansion électrique et à la verve déclamatoire.
Avec Vélimir Khlebnikov, c’est au plus grand poète du siècle dernier, selon Roman Jakobson, que la revue Europe vient de consacrer un numéro. Né dans la steppe, près du delta de la Volga, Khlebnikov fut constamment aiguillonné par son désir d’itinérance. Il pérégrinera beaucoup, avec souvent pour seul bagage une cage à poule bourrée de manuscrits. Réfractaire aux règles et aux préceptes, se privant souvent du nécessaire, il mourra à bout de forces dans le plus complet dénuement.
Là où Maïakovski célèbre la brutalité – « A bas la faiblesse !/Vive la haine ! » – Khlebnikov clame le refus : « Il m’est beaucoup plus agréable/de regarder les étoiles (…) /… que de voir les fusils bruns/De la garde qui tue/Ceux qui veulent/me tuer. » Poète-prophète, il élabore un système poétique où la virtuosité sonore le dispute aux échappées hors des territoires de la pensée logique. Écriture en éboulis, bonds et césures, dépliement de ce qui enveloppe le noyau pulsant des mots, comme dans Conjuration par le rire. « Ô ériez, rieurs ! Ô irriez, rieurs !/Ceux qui rient des rires, ceux qui rièssent rialement/Ô irriez riesquement !… » Poème où éclatent la magie de la composition sonore, la quête d’une langue d’outre-entendement (« zaoum »), le désir de retrouver quelque chose du langage adamique ou de la langue magique des incantations et des charmes. Révolutionnaire du mot hanté par « la consanguinité entre le vers et les forces élémentaires », créateur de la « surnouvelle » (Zanguézi) et de l’intra-raison – qui est « le clou de la pensée enfoncé dans la planche de la bêtise » – Khlebnikov est de ceux qui pour aller de Moscou à Kiev ne peuvent que passer par New York. Un poète à l’humour énorme, passionné de nombres, pour qui le sens n’est rien sans le contre-sens, un peu comme, pour les Slaves le rire n’est rien sans les larmes.

Richard Blin

La Vie en jeu
Bengt Jangfeldt
Traduit du suédois par Rémi Cassaigne
Albin Michel, 590 pages, 25

et Europe N°978 (Vélimir Khlebnikov)
384 pages, 18,50

Révolutions poétiques Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°119 , janvier 2011.
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