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Poésie Tenter d’être

janvier 2011 | Le Matricule des Anges n°119 | par Marta Krol

Yves Bonnefoy nous livre ses Entretiens sur la poésie, fruits d’une quête lente, inquiète et infiniment sensible.

L' Inachevable : Entretiens sur la poésie 1990-2010

Rares sont les lectures aussi immédiatement nourrissantes dans notre univers prolifique de signes creux ; et si le nom d’Yves Bonnefoy est certes un indice rassurant, il n’était pas acquis qu’un recueil d’entretiens, déjà publiés, aboutisse à un ensemble convaincant. La beauté de l’entreprise tient sans doute à l’intégrité de la réflexion qu’elle traduit : sur une période de vingt ans (soit 1990-2010), on voit une pensée à l’œuvre – celle du poète, celle de l’homme – à la faveur d’une parole vivante (et non pas de l’écrit ou de la conférence, comme dans Le Siècle où la parole a été victime) se chercher sans faiblir et sans se flatter. Elle se structure, moyennant hésitations, contradictions ou variantes du temps, autour de quelques thèmes clés, dont les divers sujets évoqués – l’architecture, l’œuvre de Pierre Jean Jouve, la traduction de pièces de Shakespeare, Giacometti, la peinture… – s’emparent par autant de biais.
Celui qui prédomine par sa permanence est la « pensée conceptuelle ». Cette expression omniprésente symbolise ce qui apparaît à Yves Bonnefoy comme le péché originel de l’homme en tant qu’être parlant : loin d’être considéré comme sa grandeur, le langage empêcherait l’homme d’accéder véritablement au monde. Obstacle, séparation, oblitération, parce qu’il manie les concepts ; ceux-ci n’étant que « des points de vue sur l’objet, jamais des saisies globales, ils nous contraignent à ce qui n’est donc qu’un simple prélèvement sur une réalité des choses qui est comme telle surabondance infinie ». à cause du langage nous ne pouvons que « faire surface dans le monde », renfermés dans une aliénation ou dans un déchiffrement conceptuels, et ce jusqu’à l’exercice de la perception même, car même les peintres ou les sculpteurs verraient le monde à l’aune de leur langue. On retrouve là le fantasmatique motif bergsonien d’une adhésion intuitive, pré-linguistique, au réel ; celle de l’enfant, celle du petit Marcel à Combray.
Par conséquent, la lutte de l’homme – pour accéder à la « pleine présence simple du monde » – est l’entreprise même de la poésie : faisant fi de recherches esthétiques, de la beauté des images derrière les figures, arriver à « l’épaisseur de chaque vocable, cette épaisseur dont le fond, sous la dérive des signifiés, est ce qu’on appelle le référent ». Par-delà la (superflue) terminologie saussurienne, on comprend : la poésie sait que « parler voue aux concepts, à l’exil », mais elle « n’est pas seulement un recours à la forme dans la parole (…), c’est une conscience directe de ce qui est, éprouvé en un instant, en un lieu, comme l’infini de la qualité sensible, comme l’absolu de l’être présent ». Déjouer le signe pour étreindre à la chose même, aller non pas « aux aspects des choses (…) mais à la présence de ces choses ». D’où l’insuffisance de la plus belle des descriptions, comme celles de Paul Valéry : « je pensais, moi, que le goût du sel dans la vague ou la fraîcheur dans le vent, ce n’est qu’une enveloppe (…) si on les prend comme fin, sans rapporter leur rencontre à une expérience de soi qui s’origine dans la pensée du temps qui passe, du lieu où nous avons décidé de vivre, de la mort ». Voilà l’indépassable idéal du poète, c’est-à-dire de tout artiste (comme Rimbaud, Shakespeare, P. J. Jouve, comme Giacometti, Piero della Francesca ou Balthus…) : se faire « présence sauvage », se faire partage, permettre d’« être, plus pleinement ». « Toutefois, dit un poème de Raturer outre, c’est surtout/Ici et maintenant qui sont inaccessibles ». En effet, le poète échouera toujours ; mais ce n’est pas là une raison d’abandonner, bien au contraire : « plutôt que de se scandaliser (…) mieux vaut pour l’artiste faire de son échec en son œuvre comme elle existe l’objet d’une réflexion ».
Ici se tient le moment fort de l’élaboration de la pensée d’Yves Bonnefoy : suite àl’échec de toute entreprise de dépasser ce que nous sommes, c’est par un geste d’irréversible adhésion à la finitude de tout, « par abandon de tout rêve de réalité supérieure, par consentement sans retour à la finitude inhérente à la vie que nous pourrons nous ressentir être ». Et accéder à cet ailleurs, – autre thème crucial et obscur dont Le Lieu d’herbes traite en une prose limpide et subtile – qui n’est pas l’insolite, le fantastique ou l’irrationnel (« mythes réactionnaires »), qui n’est pas transcendance car « il n’y a rien au-dehors du monde », et le mystère de la réalité tient précisément en ce qu’elle « n’a pas de profondeur ». Alors quoi ? Inutile d’en chercher une définition positive ; disons : le lieu-objet d’une tension, d’une faim, d’un désir magnifiques d’accéder à toujours davantage de ce qui est, et qui fait être : « Je n’ai souci que de me souvenir//De l’à-présent qui monte, telle une vague ».

Marta Krol

Yves Bonnefoy
L’Inachevable. Entretiens sur la poésie 1990-2010
Albin Michel 531 p., 26
Le Lieu d’herbes
Galilée, 71 pages, 12
Raturer outre
Galilée, 41 pages, 13
et Le Siècle où la parole a été victime
Mercure de France, 332 pages, 25

Tenter d’être Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°119 , janvier 2011.
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