La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Briser la glace

juin 2011 | Le Matricule des Anges n°124 | par Sophie Deltin

Cela aurait pu être une petite histoire sans prétention, mais la sensibilité et l’art littéraire de Michael Köhlmeier donnent à ce court récit l’intensité d’une parabole.

Malgré le mot « roman » qui figure sur la couverture, on identifie clairement Michael Köhlmeier, l’écrivain autrichien né en 1949 et ici narrateur, son épouse Monika Helfer, elle-même écrivain, leurs enfants, parmi lesquels Paula, jeune romancière (dont le recueil de nouvelles Maramba - non encore traduit en français - témoignait du talent prometteur) morte accidentellement dans sa 21ème année au cours d’une banale randonnée en montagne. Mort tragique et absurde qui fut un véritable écroulement d’existence pour ce couple uni malgré la ligne de faille du chagrin, reclus dans un petit village autrichien, à la frontière de l’Allemagne et de la Suisse. Dans leur maison ensevelie sous la neige, chacun a inventé sa manière à soi de continuer à vivre : Monika note tout dans ses carnets, s’est créée une « jungle », un bric-à-brac de plantes et d’animaux qui détone dans ce décor d’hiver ; Michael a perdu « la force de dormir » mais joue au sudoku, écoute Bach et fait de longues promenades quotidiennes. Leurs visites au cimetière sur la tombe de l’absente sont le seul rituel qui les réunit véritablement.
L’annonce de la venue de l’éditeur de Michael pour travailler sur son manuscrit, l’énigmatique et discret Docteur Beer, agit comme un élément perturbateur. Ou plutôt comme une occasion bénie pour l’écrivain désireux de se rapprocher de cet éminent professeur dont le fanatisme du mot lui a valu un jour le surnom de « Mister Exactitude ». Autant le dire tout de suite, l’amitié que l’écrivain aurait espéré tisser avec son éditeur ne prendra pas, et l’on peine d’abord à comprendre pourquoi il s’appesantit sur tant de pages à revenir sur cette déconvenue, ce ratage. Sans doute le manque de générosité de son hôte épris de lettres mais peu soucieux de l’Autre, fait-il d’autant plus se détacher la solitude incommunicable du narrateur, lequel n’abordera effectivement jamais le sujet qui lui importe vraiment – « comment écrire sur la mort de ma fille ? ». N’y aurait-il entre deux êtres d’« idylle » possible, que celle qui se noue en deçà du langage, à l’image de celle qui, contre toute attente, se crée entre l’éditeur (un comble pour cet adorateur du mot) et un chien, dont l’irruption dans le paysage d’hiver grandiose, le long du Rhin glacé, advient comme un événement quasi mythique ? Une autre scène vient pourtant retoucher quelque peu ce tableau harmonieux. Un jour où les deux hommes se promènent, côte à côte et en silence, le chien, à la vue de son « maître », se précipite vers lui et dans son excitation fait céder la glace, s’enfonçant bientôt dans l’eau gelée. Tandis que Beer s’enfuit courir chercher de l’aide, le narrateur se lance lui, dans le sauvetage désespéré du chien, jusqu’à mettre en danger sa vie. Scène éblouissante par sa densité, où les gestes du narrateur hantés par le temps idyllique – celui de l’enfance de l’être aimé dont il tenait encore la tête entre ses mains, rejouent l’instant d’une survie encore en sursis. Scène cruelle où l’écho au sauvetage qui n’a pas eu lieu, le confronte à la mort en lui – à l’irrémédiable de la perte et partant, au deuil impossible.
À l’éternelle question de savoir ce que peut la littérature devant la mort, l’auteur répond ici sobrement qu’elle n’y peut rien, sinon qu’elle est un don d’histoires, qu’elle est donc ce qui continue d’arriver encore, et peut-être est-ce ce mouvement seul qui est guérisseur. La littérature ne vaut pas la vie, et aucune histoire n’en remplace jamais une autre. Mais le récit doucement triste et douloureux de Köhlmeier vise ce point d’impact précis qui au cœur de l’existence nous fait éprouver le tragique de cette aporie : la défaillance de tout symbole à répondre de la mort.

Sophie Deltin

Idylle avec chien qui se noie
Michael Köhlmeier
Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux
Éditions Jacqueline Chambon, 96 pages, 15

Briser la glace Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°124 , juin 2011.
LMDA papier n°124
6,50 
LMDA PDF n°124
4,00