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Égarés, oubliés Graisse wagons

juin 2011 | Le Matricule des Anges n°124 | par Éric Dussert

Modeste ouvrier du romantisme, le maçon et jardinier Adolphe Vard n’a jamais cessé de taquiner la muse, tout en suant pour le compte des Chemins de fer.

Adolphe Vard n’a pas eu la chance de figurer parmi les « Voix d’en bas », cette confrérie modeste mais brave des poètes ouvriers auxquels Edmond Thomas a consacré en 1979 un mémorable essai anthologique. Trop modeste et discret pour apparaître même aux yeux du spécialiste des humbles et des laborieux, Adolphe Vard n’avait pourtant pas démérité parmi le petit peuple des Lettres.
Né le 15 août 1832 à Aubevoye, dans l’Eure, il avait attendu l’âge de 54 ans pour publier son premier recueil, Vernon, vingt minutes d’arrêt ! Heures noires et nuits blanches, poésies d’un ouvrier, à Paris, chez E. Monnier, de Brunhoff & Cie en 1886. Publié sous une belle marque grâce à une souscription de ses amis, ce livre constitue sans doute la plus belle pièce d’une œuvre rare, saluée M.-C. Poinsot dans son Anthologie des poètes normands (1903), puis par le libraire et directeur du Bulletin des lettres Henri Lardanchet en 1905 qui classa son auteur parmi Les Enfants perdus du romantisme (Perrin) aux côtés d’Ausone de Chancel, de Charles Lassailly ou d’Hégésippe Moreau. Une mince victoire pour Vard qui disparaîtra trois ans plus tard, amèrement déçu par la défection de typographes qui avaient entamé l’édition de son ultime recueil, qui ne verra jamais le jour.
Un sursaut de la mémoire poussa cependant l’un de ces jeunes témoins, Paul Manoury, à rappeler en 1954 qui fut ce sexagénaire qui dirigeait le Journal des Andelys, un petit hebdomadaire normand qu’il transformait grâce à la finesse de sa prose et à son humour « en revue littéraire distrayante et curieuse ». Généreux et bonhomme, le « père Vard », érudit à sa façon et spirituel manieur de comparaisons mythologiques, avait pris sous son aile les jeunes typos de l’imprimeur Gaston Coulouma et leur insufflait le goût du reportage. Il était alors l’auteur du Rêve de Muguette, avec une préface de Paul Harel (Paris, Bibliothèque de la Grande Correspondance, 1889), de L’Âme volée (Paris, Société littéraire et artistique des Abeilles normandes, 1891), de Tracassin le sorcier (Verneuil, impr. de J. Gentil, 1897), de Légendes normandes. Fleur-de-Sureau (idem, 1898), il collaborait à la Neustrienne, à l’Europe littéraire, aux Abeilles normandes et avait même poussé jusqu’à paraître aux sommaires des Mémoires de la Société historique et archéologique de Pontoise & du Vexin… Pourtant, rappelle le typo Manoury, « Vard s’était éteint pauvre, ainsi qu’il avait vécu, dans le petit village d’Aubevoye, où il passait ses jours à écrire au milieu de ses roses et de ses abeilles. » (Feuilles au vent et Branches mortes, La Dépêche, 1954).
En préambule de ses premiers vers, il écrivait ce credo qui sonne comme une justification : « Né sans fortune, c’est au travail, à un travail manuel, que j’ai sans cesse demandé d’assurer ma subsistance et celle des miens. Aujourd’hui que le sacrifice de mes plus belles années m’a assuré le triste avantage d’achever de vieillir à l’abri de la faim, j’ai le droit, à même le temps qui me demeure à vivre, de consacrer aux lettres tout le temps que me laisseront mes arbres et mes fleurs, que j’aime encore mieux que mes vers./ Le public trouvera peut-être que je suis un écrivain dont on peut rire, et il sera dans son droit ; ceux qui me connaissent personnellement savent que je ne fus jamais un travailleur pour rien, et si j’invoquais leur témoignage, chacun d’eux s’empresserait de s’écrier : Poète, je ne sais ; ouvrier, j’en réponds. »
Arraché à 14 ans « aux leçons d’un vieux prêtre » par un père maçon, le jeune Vard monte aux échelles et manie le mortier la brique et les moellons. Compagnon à l’âge de 17 ans, il abandonne deux ans plus tard le métier pour se consacrer au jardinage – bêche, râteau et arrosoir de cinq heures du matin à huit du soir – puis est embauché par une société de chemin de fer pour laquelle il remplit durant trente ans la fonction la moins rétribuée et la plus dangereuse, celle de graisse wagons – travail de nuit six mois par an, douze heures par jour. Et c’est la maladie, un jour, qui le laissa harassé sur un lit d’hôpital en lui offrant de se consacrer à lui-même un peu, et à ses chers vers. En sa douce philosophie, point d’amertume ni de colère, fût-ce dans son poème « Le cri du poète obscur » qui débute sur ces mots : « Jouet d’un instinct téméraire,/ J’ai dit, jaloux de resplendir :/ Plus on gravit mieux on s’éclaire,/ Pour rayonner sachons grandir./ Montons vers la trouée ardente !/ Suivons Homère, Eschyle, Dante,/ Thémistocle, Napoléon !/ Des plus grands dressons-nous, émules./ Il est, mépris des âmes nulles,/ Au Forum des chaises curules/ Et des tombeaux au Panthéon ! »
Quant à ses dédicaces aux Normands Jean Labêche, « jardinier philosophe », au conservateur de la bibliothèque de Rouen, Eugène Noël (1816-1899), le fameux auteur des Mémoires d’un imbécile (1875) qui avait également « Père Labêche » pour pseudonyme, à Jules Prior, le « tonnelier-poète » de Beaumont-le-Roger, elles démontrent assez que l’humble et laborieux Vard fut un homme de terroir comme il était un mystique du vers et du Mot qu’il aima autant que ses chères fleurs, jusqu’à lui consacrer sa « Ballade du mot » : « Un mot !/ vienne un mot !/ rien qu’un !/ Nœud d’ombre ou de flamme,/ Note entrée en mes accords/ Qui prête à mon rêve un corps/ Et lui doive une âme ! »

Éric Dussert

Graisse wagons Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°124 , juin 2011.
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