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Domaine étranger La forge des jours

juin 2011 | Le Matricule des Anges n°124 | par Serge Airoldi

Avec une saga familiale qui s’étend de 1889 à 1943, Marcello Fois invente une histoire sarde, pleine de tragédies et d’espérance.

La Lignée du forgeron

Comme un marteau qui tombe avec régularité sur l’enclume, un rythme s’installe immédiatement dans ce beau roman de Marcello Fois. L’écrivain a choisi d’installer son histoire à Nuoro, un village de Sardaigne. C’est là qu’un jour, dans l’église, Michele Angelo Chironi et Mercede se rencontrent. Elle a 16 ans, elle est venue prier. Il a 19 ans, il est apprenti forgeron et il répare l’encensoir suspendu dans les airs. Ils se voient, ils se plaisent, ils s’aiment aussitôt. Tous les deux sont les enfants du hasard et de l’interdit. Mères réelles. Pères incertains. Avant eux, pas d’arbre généalogique qui vaille passeport. Avec eux, Marcello Fois fait pourtant lever le pain et invente une lignée ; il pousse vers le jour des destins en nommant les personnes et en racontant un parcours singulier, individuel et collectif. En faisant vivre et mourir trois générations, l’écrivain sarde plonge les mains dans la grande histoire en ouvrant le livre en 1889 pour le refermer en 1943.
Pendant ces cinquante-quatre années, un grand vent emporte toute la vie de Nuoro et sa quiétude. D’abord la modernité. Elle s’impose sans que quiconque n’ait prévu quoi que ce soit pour la favoriser. « C’est donc un matin de mai, avec le siècle enjambé on dirait que même dans cette communauté à la périphérie est parvenu un souffle de modernité. A présent, les dames et les messieurs se distinguent parce qu’ils s’habillent à la façon du continent ». Ainsi procède Marcello Fois aux jonctions du temps historique et des séquences de la vie la plus prosaïque. Maintenant la Première Guerre mondiale s’annonce. Fois apporte l’information avec une phrase : « Il y a une fermentation et il y a une guerre ». Et aussi avec une vision fugace, celle de Mercede qui sort d’un cauchemar à l’aube, se lève encore hébétée par les images terribles et qui, « dans la cuisine, malgré la pénombre, (…) voit la clarté du marbre de la table et de la feuille de journal où l’on annonce que l’Italie est entrée officiellement dans le conflit que tout le monde appelle mondial ».
Plus tard, encore, ce seront les fascistes nouveaux qui pénètreront dans l’univers des Chironi. Pour le meilleur et surtout pour le pire. Marianna épouse un odieux bonhomme d’une famille de la bonne société sarde, lequel devient un potentat à Cagliari avant de périr dans un attentat avec Dina, la fille du couple, la petite-fille de Michele Angelo et de Mercede. Ensemble, les anciens ont déjà subi le deuil et porté la douleur.
Au fil des ans, Michele Angelo est devenu un forgeron réputé. Les rues de Nuoro se sont élargies. Il a fallu parer les balcons des belles demeures d’ornementations en fer forgé. La forge des Chironi souffle à plein sur les braises de la réussite. Et Chironi fait certainement des envieux. Leurs jumeaux en font les frais. Ils sont assassinés et jetés dans les broussailles. Une autre voix plane maintenant dans ce roman, c’est la voix intérieure de Mercede, la mère d’une peine noire, dure comme le fer elle aussi mais peu à peu détruite par une rouille sournoise. Ne parlons même pas des deux enfants mort-nés. Parlons plutôt de Gavino, blessé, violé et humilié par les fascistes avant de partir pour l’Australie. Parlons aussi de Luigi Ippolito, l’autre promesse des Chironi partis de si peu. Gavino avait pris la succession à la forge même si son goût politique et sexuel était ailleurs. Luigi Ippolito avait pris le chemin des études, de l’écrit, de l’expression possible de la lignée. Mais la Grande guerre a fauché les rêves. À Nuoro, c’est lui qui avait les mots justes et qui aimait tellement théoriser sur l’origine du nom de la famille, perdue dans le recul des siècles, comme si la lignée devait poser ses fondations sur le mythe premier, l’origine lointaine, féconde. Espagnole en l’occurrence. Pourtant, Chironi n’est que le nom de l’inspecteur général de l’orphelinat où autrefois Michele Angelo fut recueilli… Alors, l’histoire de la famille doit s’écrire dans le futur avec une issue romanesque comme une divine surprise offerte à Michele Angelo au terme d’un texte construit sur le modèle de la Divine Comédie où Dante disait un Paradis, un Enfer et un Purgatoire.
Dans La Lignée du forgeron – une traduction libre du titre original Stirpe qui signifie souche, origine – Marcello Fois fait apparaître le fils de Luigi Ippolito dans les dernières pages, comme un miracle. Maître du récit qui évoque souvent le souffle poétique de la tragédie antique, Fois ne s’improvise pas magicien pour l’intérêt d’un simple happy end. Le fils de Luigi Ippolito revient sur l’île à la recherche de ses origines. Cette fois, elles existent. Le nom de Chironi qu’il porte a une antériorité. Pendant le demi-siècle précédent, il y a eu des morts. Il y aura désormais une vie possible. Un temps après le temps. Comme dans le gigantesque poème de Dante, l’anxiété ne s’éteindra pas. Au moins, une espérance sera ouverte.

Serge Airoldi

La Lignée du forgeron
Marcello Fois
Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro
Seuil, 312 pages, 19,50

La forge des jours Par Serge Airoldi
Le Matricule des Anges n°124 , juin 2011.
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