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Domaine français Extinction des feux

juillet 2011 | Le Matricule des Anges n°125 | par Valérie Nigdélian

Sous l’apparente banalité des jours, Bernard Comment piste le chant infini des regrets.

Une vieille dame nageant silencieusement dans une piscine au milieu de ses souvenirs. Un homme confronté à la perte d’un père qu’il n’a pas connu. Un riche veuf détruisant méthodiquement tout héritage. Un entraîneur quittant son équipe en pleine rencontre, sans crier gare. Une femme recluse en pleine montagne, noyant on ne sait quel chagrin dans l’alcool. Neuf récits, neuf instantanés composent le dernier ouvrage de Bernard Comment que son titre, Tout passe¸ place explicitement sous le signe de la mélancolie. Étrangement travaillé par le vide, morbide prémisse de notre inéluctable disparition, le texte se déploie en sections successives que rien ne relie entre elles : rien, sinon le sentiment d’une suspension infinie – un flottement généralisé. Rien, et surtout pas la narration : mais peut-on encore parler de narration quand du récit de vie – ratée ou brisée – ne subsistent que quelques indices épars, comme arrivés là par hasard, au détour d’une conversation, d’un regard, d’un tremblement ? Quand les personnages ne s’appréhendent qu’au filtre de leur présent, sans hier ni lendemain ? Quand, momentanément tirés de limbes mystérieux, ils s’affichent, énigmatiques, amputés du hors-champ qui en restituerait la transparence et la lisibilité ? De la blessure presque mortelle que chacun fuit, on ne saura rien : seuls quelques signes dérisoires permettent au lecteur d’esquisser d’incertaines théories, en forme d’interrogations irrésolues. L’essentiel n’est pas là : de quoi saluer la puissance suggestive de l’écriture, traçant un halo brutalement déchiré par chacun des récits successifs – ainsi cette image récurrente d’une tache rouge émergeant doucement de « la masse brumeuse qui, lente et ouatée, gagne la ligne d’horizon » – silhouette trouant la solitude des êtres reclus, promesse de soleil et de vie, forme sur l’informe.
Ces fragments nostalgiques laissent irrésistiblement transparaître la figure tutélaire d’Antonio Tabucchi, et de ses Petites équivoques sans importance dont Bernard Comment proposait une nouvelle traduction en 2006 : de ce qui aurait pu être et n’a pas été, les nouvelles de Tabucchi tissaient une trame lacunaire, précise et subtile, dévoilant l’arbitraire et le simulacre derrière les identités a priori établies.
Au-delà même de la question qui ouvre le premier récit de Comment (« Que reste-t-il d’une vie ? (…) De la subtile tessiture d’une vie ? »), et que développent certaines histoires autour de la question de l’héritage et de la transmission, Tout passe fait le bilan terrible de la prison que devient la vie au fil des hasards et des choix, des enchaînements logiques, des déterminismes – une prison dont « on ne s’échappe jamais vraiment ». Condamnés au destin qu’ils se sont eux-mêmes fabriqué, enfermés dans une figure unique qui leur interdit progressivement la multiplicité des possibles, les personnages de Comment font le constat amer du rétrécissement de leur horizon, jusqu’à ce que la vie ne se résume à une voie à sens unique. Certains s’y enfoncent par de brutales accélérations, poussant par des gestes sans retour (jusqu’au meurtre) leurs tendances mortifères. D’autres s’acharnent à flotter dans une indétermination illusoire, dans une attente seulement traversée par de fugitives images de l’enfance (orages et odeurs, fêtes et jeux). D’autres encore, en partance, tentent de larguer les amarres mais sont bientôt rattrapés par l’insupportable absurdité de leur vie. Ne restent alors que ces mots d’un vieillard sur son lit de mort, se souvenant « de l’incroyable énergie des hommes qui revenaient du front, celui de 1918, ces mâles plus ou moins jeunes qui avaient échappé à la mort, à la tuerie, (qui) avaient une fringale de vie, d’amour, de sexe (…) on ne pouvait rien faire contre ça, cette puissance de vie, elle balayait tout (…) après j’ai connu ta grand-mère, on finit par oublier, par se remettre dans la voie, sans plus regarder les bas-côtés. » De cette démission, on ne se remet pas.

Valérie Nigdélian-Fabre

Tout passe
Bernard Comment
Christian Bourgois, 144 pages, 13

Extinction des feux Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°125 , juillet 2011.
LMDA PDF n°125
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