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Dossier Georges Perros
La vie la plus proche

juillet 2011 | Le Matricule des Anges n°125 | par Thierry Cecille

« Contrebandier de la littérature » et explorateur entêté de son territoire intime, Georges Perros (1923-1978) nous offre une œuvre en archipel : notes, poèmes et correspondance dessinent un autoportrait passionnant et émouvant.

Que pouvaient-ils bien penser, ces Bretons de Douarnenez, de cet homme étrange, équipé de sa pipe et de sa vieille moto, toujours vêtu du même pantalon, de la même veste ? Il était venu s’installer là, de nombreuses années auparavant, une femme l’avait rejoint, qu’il avait fini par épouser devant Monsieur le Maire, et puis il avait eu des enfants, trois au total, on le voyait les conduire à l’école, et puis il partait de son côté. Il allait de bistrot en bistrot, ou filait sur les routes, vers l’intérieur des terres ou vers la pointe du Raz, ou alors se réfugiait dans une sorte de bicoque, de cabane, que la mairie avait mise à sa disposition pour qu’il puisse… y écrire. En effet, c’était, disait-on, un écrivain – mais quant à savoir ce qu’il écrivait, c’était encore une autre paire de manches ! Il n’était pas de ces romanciers à succès dont on voyait parfois les figures, excitées ou compassées, dans la lucarne de la télévision qui prenait sa place, depuis peu, dans chaque foyer, il ne figurait pas, de cela on était certain, dans la liste des best-sellers des hebdomadaires qu’on pouvait acheter à la Maison de la presse… On racontait cependant qu’il aurait gagné quelques prix, que son éditeur était, depuis des lustres, le plus renommé de Paris, on voyait aussi, de temps à autre, quelque journaliste se risquer dans cette sorte d’antre, de caverne obscure où s’accumulaient livres et manuscrits. Mais on avait tout de même bien du mal à y croire, lorsqu’on se retrouvait face à lui, nez à nez, sur le port, à la criée, ou devant le zinc, et qu’il prêtait une oreille juste distraite aux brèves de comptoir mêlées de jurons en breton.
Pourtant la rumeur disait vrai : Georges Perros était bien un écrivain, d’aucuns le savaient, et le suivaient fidèlement, depuis cet été de 1956 où avaient paru dans la nouvelle Nouvelle Revue Française des « Notes » qui seraient rassemblées, en 1960, dans un volume au titre curieux, minimaliste et abstrait à la fois, de Papiers collés. Le lecteur attentif pouvait y entendre une voix singulière, au timbre feutré mais bien posé, entre la mélancolie et la colère, entre le désespoir et l’enthousiasme, y découvrir un cynique modeste, un Diogène moins tapageur que le vrai, mais aussi perspicace et parfois vengeur.
Qu’était-ce donc que ces notes ? Le lecteur pouvait être tenté de les rattacher à cette ancienne et prestigieuse lignée de ceux qu’on appelle les moralistes français (comme s’il s’agissait d’une spécialité nationale…) : de La Rochefoucauld à Chamfort, de Joubert au Valéry de Tel Quel, le fragment, d’une phrase à quelques pages disons, la forme brève avait été l’outil favori de ces scrutateurs parfois féroces de la nature humaine, dénonciateurs de l’amour-propre ou pourfendeurs de la bêtise sous tous ses déguisements. Perros prendra soin de s’expliquer sur cette forme, ou absence de forme, qu’il avait choisie, ou qui s’était plutôt imposée à lui : si la maxime lui paraissait une sorte de diamant de pensée...

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