Il y a une quinzaine années, Serge Pey « faisait, déjà, des attaques » contre Ben Ali. Traduisez par là qu’il n’investissait pas la Tunisie, mais qu’il organisait des actes de poésie directe, des performances pour dénoncer le dictateur. En reliant des électrodes à la carcasse d’un volatile passé au chalumeau, il proférait un poème puis distribuait un tract stigmatisant la torture. Sa façon à lui, non pas d’être militant, mais « d’aimer le monde en le dénonçant ». En aurait-il été autrement si son père, ne lui avait raconté, enfant, son histoire de républicain espagnol parqué pendant des mois sur la plage d’Argelès et se tordant de dysenterie ? « Cette plage était notre chiotte et c’est la mer qui nous lavait les fesses. Imagine : deux mille culs gardés par des soldats. » On chie beaucoup dans ces curieuses nouvelles. On chie en dieu et à la gueule de tout autoritarisme. La merde redevient enfin un matériau ludique, colérique, poétique si commun au Moyen âge ou dans les langues méditerranéennes.
Que nous raconte Pey ? Sa genèse : l’élaboration de sa sensibilité, de sa poésie, ses investigations dans les mondes philosophiques, magiques, sa quête de l’inconnu. Et ce par l’entremise d’un enfant, blessé par la cruauté du monde, mais porteur d’une force de vie tellurique.
À travers ces textes, il brise des miroirs dont les éclats se démultiplient à l’infini. Le gamin est baigné dans un mélange de langues (espagnole, catalane, occitane, française) qui par leurs forces, leurs affects, leurs secrets, leurs imprécisions, leurs mauvaises utilisations (Jean Jaurès devenant « La poutre de la paix » et non l’apôtre) aiguisent à la fois ses sens et ses perceptions du monde. Il prend les mots au pied de la lettre. Surtout ceux de cette « Langue des chiens » parlée, chantée par la Cega, la grand-mère aveugle. « Quand en cachette elle chantait à l’enfant dans cette langue, les chiens venaient autour d’elle et se mettaient à gémir à ses pieds comme s’ils la comprenaient. » Pour partager cette langue, il se force à avaler des abats pour animaux. Les objets, leurs fonctions aussi sont détournés. Les arbres portent la mémoire des hommes. Enfin, ceux de Tiet del mar ou Oncle Gibraltar dont il faut taire le vrai nom à cause de la police. « Non, tu ne manges pas des cerises. C’est Guillermo que tu manges. Cet arbre, ce cerisier, s’appelle Guillermo Ganuza. Tu manges Guillermo Ganuza. » Un monde métabolique qui peut prendre toutes les formes ne peut être que forcément magique. Le sorcier Santamaria et ses bijoux composés d’insectes vivants a ici des allures de Don Juan, le mentor Yaqui de Carlos Castaneda. « Il savait que les poissons étaient les âmes des enfants pas encore nés dans les femmes que les morts essayaient de pêcher sur des barques en plumes d’oiseau. » Mais un monde magique peut aussi avoir ses limites, alors que l’enfant cherche des au-delàs aux apparences. Il les trouve sur l’échiquier de Floridor Puig et Chucho Hilero, deux amis qui à travers le temps, les épreuves jouent pour ne pas gagner. « Échouer c’est peut-être gagner. » Ainsi se préoccupent-ils plus de l’esthétique de la partie ou encore jouent à l’aveugle en remplaçant les pièces par des verres d’alcools.
Quant au titre éponyme Le Trésor de la guerre d’Espagne, il introduit un burlesque digne des Marx Brothers. Après la guerre, une lettre informe les anciens guérilleros qu’une partie du trésor de la République espagnole, se trouve sur la plage de Saint-Cyprien. Chaque dimanche des centaines de touristes forent le sable. « Si je tenais el hijo de puta qui a parlé, je l’enterre vivant. On perdra toujours la Révolution à cause de la langue. Ils ne sont même pas capables de garder un secret… » Un recueil qui a du chien et un sacré duende !
Dominique Aussenac
Le Trésor de la guerre d’Espagne
Serge Pey
Zulma, 174 pages, 16,50 e
Du même auteur :
Rituel des renversements
La Part commune
Domaine français Histoires stroboscopiques
juillet 2011 | Le Matricule des Anges n°125
| par
Dominique Aussenac
En treize nouvelles, le poète Serge Pey élève une stèle à la mémoire de son père, républicain espagnol. Onirique et fraternel.
Un livre
Histoires stroboscopiques
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°125
, juillet 2011.