Pour les lecteurs intéressés par ce qui nous importe ici, la littérature qui marque, qui tache, qui bouleverse et qui meut, pour les fictionneurs qui manifestent l’ambition de pousser leur art plus loin, Céline Minard est synonyme de branle-bas des neurones. Elle nous met tous au pied du mur. C’est à un vaste tournoi littéraire que convoque sa seule présence sur les étals. Et le jeu du tournoiement lui sied, il faut dire, fut-ce au sens médiéval du terme, car elle ne craint aucun affrontement. Assurée qu’elle est de pouvoir casser tous ses jouets l’un après l’autre, elle porte plus loin son imagination. À la recherche d’une puissance toujours plus grande de son verbe, elle invente, innove, fabrique. Les « jactances » de ses deux nouveaux livres, So long, Luise et Les Ales, sont les nouvelles armes de cette aventurière des Lettres.
Il faut l’avoir entendue lancer en novembre 2008 son tonitruant « Yepee ! » à la mode apache lors de la remise du prix Wepler dans la brasserie éponyme pour comprendre que Céline Minard n’est pas femme de lettres pour un sou, insoucieuse des spectacles auquel se livre avec componction l’interprofession éditoriale. So long, Luise en dit quelque chose par l’entremise de sa narratrice, une vieille femme indigne, robuste et sans peur, comme par hasard. « La puissance est du côté de l’écrivain, la potentialité du côté de l’éditeur, le pouvoir dans les chiffres. (…) quoi de plus naturel pour un écrivain de vouloir opérer lui-même ? Son autorité est de la plus longue durée – que l’on songe à Villon ! – n’en déplaise aux notaires. Je ne suis pas dans ma page maître du temps : je suis le temps. » La façon qu’a Céline Minard d’aborder la fiction, livre après livre, trouvaille après coup d’audace, révèle plusieurs traits de son caractère d’artiste qui lui assurent un aplomb impeccable : dotée d’une fierté d’être libre et d’une nette conscience de ses capacités – ainsi que d’un très gros bagage de lectures bien digérées –, elle peut faire montre d’une insolence d’airain. Il est dit qu’elle ne passera pas sur les cendrées communes. On appelle ça avoir de la gueule, « sans heurt ni frein, au petit bonheur, lequel en cache souvent un grand ».
Quant à sa biographie, c’est un sujet qu’il vaut mieux éviter. Non qu’elle vive en recluse dans une soumission totale à l’Art. La marche en montagne et les escapades l’attirent trop pour que l’image de l’écrivain névrotique collé à sa feuille ne puisse lui être plaquée. Les questions autobiographiques ne l’intéressent guère ; peu lui chaud qu’on sache qu’elle fit des études de philosophie, qu’elle se passionne pour la phénoménologie et l’histoire des sciences, qu’elle fut libraire, ou qu’elle chroniqua parfois dans les pages du défunt magazine Topo… Ces badges à la scoute ne la définiraient pas de toute manière. Elle est née en 1969 à Rouen et basta. « Je ne suis pas un héros grec, je ne meurs pas en pleine jeunesse, pas tout à fait – et ceux-là vont répondre en toute bonne foi,...
Dossier
Céline Minard
D’air, d’allure et de gueule
En huit ans et autant de livres, Céline Minard s’est révélée l’enfant terrible de la littérature française contemporaine. Sans manœuvres ostentatoire ou télévisuelle, elle a secoué les puces de la création ronronnante et sommé ses contemporains d’ajuster leurs bésicles.