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Domaine étranger Du coq à l’âme

octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127 | par Dominique Aussenac

Comment survivre à la barbarie ? Un éclairage audacieux, aussi délirant que cocasse, de l’Uruguayen Mauricio Rosencof.

Dans les années soixante-dix, l’Amérique latine devint un formidable champ de bataille idéologique. Des dictatures d’extrême droite soutenues par les États-Unis livraient un combat sans merci aux organisations de gauche et d’extrême gauche épaulées par le bloc communiste. En Uruguay, les Tupamaros prônant action directe et autogestion ouvrière, défrayèrent la chronique par de spectaculaires coups d’éclats : enlèvement d’agents de la CIA, redistribution de vivres aux plus pauvres, libération de prisonniers politiques, détournement de lingots d’or de contrebande… De 1973 à 1985, les principaux leaders du mouvement furent emprisonnés, torturés. Parmi eux, Mauricio Rosencof, journaliste, écrivain, poète, dramaturge né en 1933 et auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont deux seulement publiés en France, Les Lettres qui n’arrivèrent jamais (Folies d’encre, 2010) et le recueil de poèmes Conversations avec l’espadrille (Éditions SPM, 1993).

El Bataraz, le coq de combat, relate le transfert de personnalité s’opérant entre un prisonnier politique, Hortensio, enfermé dans une cellule d’un mètre sur deux, épié, éclairé jour et nuit et le compagnon qu’on lui octroie, Tito, magnifique gallinacé. Le but : le rendre fou. Il semble bien qu’Hortensio le soit déjà, à moins qu’il ait mis en place des exercices mentaux évacuant le réel. Le prisonnier n’en finit pas de parler, s’adresse à un lecteur imaginaire, écrit dans le vide en mimant avec un doigt, s’accroche aux mots. Les mots délivrent des images, les images, des souvenirs, des désirs… Passant du coq à l’âne, il ressasse des lubies, sa prochaine mutation végétale en oranger, l’obtention du prix Nobel de littérature, Carlos Gardel… Confronté au coq, Hortensio se met dans un premier temps à jalouser le volatile, son perchoir confortable, puis à lui chiper ses grains de maïs, son eau. Va jusqu’à mimer sa démarche et lui adresser la parole. L’autre lui répond. On en vient à ne plus savoir qui est qui. Le coq prenant à certains moments le statut de narrateur, évoquant la vie d’Hortensio. Il est même torturé à sa place. « Ils le plongeaient la tête la première dans une bassine et à chaque immersion, de petites bulles d’air gracieuses remontaient pour exploser délicatement en surface. Son trou du cul était mal en point, enflé comme un bouton de rose. On y avait placé des électrodes et ensuite, un lieutenant plus imaginatif qu’Edison lui avait introduit une cigarette Nevada dans l’anus, le bout filtre tourné vers l’extérieur, histoire de vérifier s’il fumait aussi par le cul. »
La plume luxuriante, très mature de Rosencof alterne des moments de poésie pure (évocation du ciel, de la nature) d’érudition (histoire de la colonisation de l’Amérique, entomologie, BD, religion…), de trivialité, d’effroi. Tout se mêle. Mutation, transmutation. Nous sommes ici plus près d’un burlesque juif, kafkaïen, que d’un réalisme magique sud-américain. L’horreur est diluée par l’humour, le loufoque. Les métamorphoses se succèdent, délire total, amenant le lecteur à douter de sa propre santé mentale. Hortensio n’envisage-t-il pas de se transformer en clé anglaise pour dévisser le couvercle de tôle de sa cellule. « Le tonnerre est un phénomène physique intelligible, analysable et prévisible mais même en le sachant, la foudre fait peur. »
Énoncer l’horreur vécue, l’insoutenable, les rendre lisibles n’est certes pas tâche facile. Certains comme Primo Levi y sont parvenus, puis y ont laissé leur vie. Mauricio Rosencof a certainement perdu plus d’une fois la raison en détention, la puissance et la liberté de son imaginaire l’ont ramené sur terre. El Bataraz, le roman d’un envol, d’une résurrection.
« Tito. Oui je pleure, au cas où tu n’aurais pas remarqué ? C’est la lutte, finale… »

Dominique Aussenac

El Bataraz
de Mauricio Rosencof
Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Philippe Poncet et Frida Rochocz
Folies d’Encre, 288 pages, 17

Du coq à l’âme Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°127 , octobre 2011.
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