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Traduction André Markowicz

octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127

Le Soleil d’Alexandre par André Markowicz

Le Soleil d’Alexandre

Le soleil d’Alexandre » est une expression de l’un des plus grands poètes russes du XXe siècle, Ossip Mandelstam, symbole même de la résistance de la poésie au totalitarisme, mort de misère en déportation en décembre 1938 : dans un poème de décembre 1917 intitulé « Cassandre », il parlait du « soleil d’Alexandre » qui luit pour tous en Russie.
Cette expression ambiguë lui permettait de désigner, contre le soleil glorieux d’Alexandre le Grand, le conquérant, du tsar Alexandre Ier et de tout pouvoir politique inhumain, celui d’Alexandre Pouchkine, victime du pouvoir tsariste, et qui n’eut de pouvoir que celui de dire, et, par la beauté de la langue, de triompher de la monstruosité des temps.
J’ai longtemps été hanté par ce vers de Mandelstam, parce qu’il résume ce qu’a été la poésie en Russie et ce qui fait que Pouchkine est, pour tous et chacun, l’air qu’on respire, la mémoire, le partage, le trésor d’enfance. C’est de ce vers qu’est née l’idée de faire un livre autour de la figure de Pouchkine.

I. Travaux d’approche
J’ai commencé de traduire quand j’étais adolescent : un professeur, expulsé d’URSS, Efim Etkind, avait rassemblé à Paris un groupe de traducteurs. Alors qu’en France la traduction est considérée comme un artisanat mineur et que la tradition veut que l’on transpose la poésie en prose ou en vers libre, en Russie, au contraire, pays de grande tradition de traduction, le respect de la forme est un préalable. Les plus grands poètes ont souvent été aussi des traducteurs hors pair. Bref, étant de langue maternelle russe, je me suis trouvé inscrit dès mes débuts dans cette tradition.
Etkind m’avait donné à traduire un poème de Pouchkine. Ne doutant de rien – j’avais 16 ans –, je me suis lancé dans ce travail… Mes traductions ont été publiées mais, je n’étais pas aveugle au point de m’illusionner sur leur valeur. Il m’a fallu trente ans pour commencer à pouvoir traduire les poèmes de Pouchkine sans avoir l’impression de le trahir totalement.
Je suis devenu traducteur dans l’espoir de traduire Pouchkine, et j’ai traduit, cycle après cycle, des auteurs dont l’œuvre dérivait, d’une manière ou d’une autre, de la sienne dans le but de l’approcher : j’ai traduit, chez Actes Sud, l’intégrale des œuvres de fiction de Dostoïevski et, pour le théâtre, à partir du Révizor dont le thème avait été donné à Gogol par Pouchkine, et de la pièce de Griboïédov, Du malheur d’avoir de l’esprit, qui fait écho au chef-d’œuvre de Pouchkine, Eugène Onéguine, les Scènes dramatiques de Pouchkine, puis toutes les pièces de Gogol. Bien que personne n’ait vu le lien entre ces traductions, j’ai toujours travaillé par cycles dans cette perspective, en sorte que tout cela forme un ensemble – où vient prendre place aussi la traduction du théâtre de Shakespeare que j’ai entreprise précisément pour traduire le décasyllabe blanc, le vers de Pouchkine, le vers de l’Europe.

II. Eugène Onéguine
Il m’arrivait parfois, deçà delà, de traduire l’un ou l’autre de ses poèmes. Je poursuivais, sans chercher à la publier, une sorte de grande anthologie que j’avais intitulée Traduit du russe  : autour des quelques poèmes de Pouchkine que j’avais pu traduire, et des poètes à peu près inconnus en France qui avaient donné au romantisme russe ses lettres de noblesse, je montrais, cercle après cercle, l’élargissement jusqu’à l’époque contemporaine de la poésie russe…
Tout aurait pu continuer sans fin si deux événements ne s’étaient produits : d’abord, mon ordinateur a été volé avec toutes mes sauvegardes et les deux mille pages de Traduit du russe ont disparu dans la nature. Il n’en restait que quelques fragments. Ensuite, lors d’un voyage en train particulièrement long, je me suis mis à me réciter Eugène Onéguine comme je le faisais enfant pour me bercer, et, soudain, j’ai eu l’impression que des mots français remplaçaient les mots russes : je me suis mis à dire Eugène Onéguine en français à Françoise Morvan, qui a voulu savoir la suite, et j’ai donc, miracle, traduit tout ce poème (qui est, en fait, un roman en vers). Une heure avant, la chose me semblait impossible et je n’ai cessé de penser en traduisant que tout allait s’arrêter d’un moment à l’autre, mais non. Je l’ai traduit comme de l’intérieur, presque sans le relais de l’écrit.

III. Le Soleil d’Alexandre
Le livre paru, je me suis dit que je n’avais plus grand-chose à faire et, en rangeant mon bureau, je suis tombé sur des bribes de Traduit du russe. J’ai commencé assez distraitement à les rassembler, puis à refaire ces traductions qui me semblaient le plus souvent faibles, puis, pensant au vers de Mandelstam, j’ai eu l’idée de rassembler ces fragments autour de la figure de Pouchkine pour faire une sorte d’autre roman en vers qui serait le roman vrai d’une génération – et, en même temps, la mise en lumière de ce qu’est la poésie en Russie : emprisonnés, envoyés en relégation (comme, dans sa jeunesse, Pouchkine lui-même), devenus fous, censurés, interdits de publication, morts de mort violente pour la plupart, les poètes de sa génération sont autant de voix dans un chœur (pour reprendre le titre du beau livre d’André Siniavski). Tous se répondent, s’écrivent des poèmes qui sont autant de lettres où se déchiffre l’énigme d’une destinée commune qui les fait résister au soleil noir du despotisme. Ils ont vécu un même partage, un même déchirement : en 1812, la désastreuse campagne de Russie a produit un immense élan de patriotisme, mais contre un pays qui était un modèle, et, pour tous les aristocrates, plus qu’un modèle, une patrie mentale dont ils parlaient la langue bien mieux souvent que les soldats de Napoléon ; l’espoir de voir l’influence de la Révolution française amener le régime tsariste à se démocratiser a été vite déçu, et d’autant plus cruellement déçu après la révolte des décembristes en 1825. Camarades de Pouchkine, les décembristes qui avaient pu survivre devaient, comme lui, être persécutés – au point que, pour Pouchkine, le duel fut sans doute un moyen d’en finir…
Je n’ai pas voulu faire une anthologie mais plutôt un grand récit donnant la parole à ces poètes pour la plupart inconnus en France puisque jamais traduits – et dont les œuvres me semblent égales à celles des poètes romantiques français. Mon but n’était pas non plus d’éclairer un pan d’histoire littéraire mais on pourra constater à quel point le romantisme russe est éloigné du romantisme français, fort hostile à la Révolution… Enfin, comme il s’agissait pour moi de dérouler ces destins croisés, j’ai adopté l’ordre chronologique en gardant pour fil directeur la vie de Pouchkine, et comme, pour la plupart, ces poètes étaient aussi d’excellents dessinateurs qui ont laissé des autoportraits et des portraits des uns par les autres, j’ai construit le livre graphiquement, de façon que le texte et l’image se répondent…

* Le Soleil d’Alexandre
, « Le cercle de Pouchkine 1802-1841 » est paru en septembre chez Actes Sud

André Markowicz
Le Matricule des Anges n°127 , octobre 2011.
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