Il existe des jeunes maisons d’édition qui ne se cachent pas pour grandir. Elles imposent leur identité comme leur impudence. Et lancent des projets au long cours. Elles ont pour nom Inculte, Cambourakis, Attila, Passage du Nord-Ouest ou encore Monsieur Toussaint Louverture. « Notre ligne éditoriale est notre pire ennemie », avertit notre hôte, Dominique Bordes. Un homme de goût serait-il un homme éclectique ? MTL publie très peu, mais très bien. Il peut découvrir de jeunes talents (Julien Campredon), s’émerveiller pour un roman de chevalerie du Moyen Âge castillan, dénicher des curiosités (l’Argentin Juan Filloy), initier des aventures collectives (Perdus/trouvés, une anthologie de littérature oubliée). « J’aime l’idée de l’éditeur-producteur. » Il y a deux ans, il marquait les esprits, jusqu’à la lie, avec Le Dernier Stade de la soif de Frederick Exley, figure de la contre-culture américaine. Et abandonnait du coup l’auto-diffusion : « Cela n’aurait été ni raisonnable ni honnête vis-à-vis du livre. »
Après des études de théâtre, de cinéma et de sciences sociales à Bordeaux, ce natif du Lot-et-Garonne accumule les expériences. Il se familiarise avec l’imprimerie, la librairie, la maquette, l’édition, suit une formation métiers du livre à IUT. Il anime ensuite des ateliers d’écriture à Toulouse où il fonde en 2004 une revue, Monsieur Toussaint Louverture, qui devient l’antichambre de la maison d’édition. Son site internet, joyeux – moins une vitrine qu’une boîte à outils – en rappelle l’esprit. Aujourd’hui, Dominique Bordes est concepteur et assistant de fabrication (notamment pour Finitude et Zulma) dans un atelier graphique à Bègles. « J’ai toujours eu la vision de l’éditeur qui faisait du rock’n roll dans son garage », s’amuse cet amateur de fanzines, à l’énergie inépuisable, qui aime accompagner ses ouvrages impeccables de notes malicieuses. Il vient de faire paraître Karoo de Steve Tesich : « Libraires, lecteurs, si vous n’aimez pas ce bandeau, vous pouvez le retirer (le livre sera toujours aussi bon) ».
Au départ, Monsieur Toussaint Louverture a publié des anthologies de nouvelles sous la forme d’une revue. Qu’est-ce qui vous intéressait : le genre court ou le désir de constituer une communauté d’auteurs ?
Il y avait cette idée, toujours très en vogue, de chercher de la nouvelle littérature, des jeunes auteurs au début de leur carrière ou des laissés pour compte de l’édition. Dès le départ, j’ai été un éditeur interventionniste. Quand je repérais un bon texte, j’écrivais à l’auteur : « Il faut que vous acceptiez de retravailler votre texte. Sinon on ne fera pas affaire ». C’était le deal. La nouvelle est un territoire d’écriture plus facile à perfectionner. C’est une vraie horlogerie. Un roman, c’est ses imperfections qui le font fonctionner. J’ai passé des heures et des heures à retravailler ces petites nouvelles. Ça, j’adore. Je voulais réunir plein d’auteurs dans chaque numéro, issus de plein de paysages...
Éditeur Défier la gravité
avril 2012 | Le Matricule des Anges n°132
| par
Philippe Savary
Dominique Bordes, alias Monsieur Toussaint Louverture, 34 ans, publie des beaux livres de littérature, française ou étrangère. Avec un étonnant mélange d’audace et de curiosité, de convictions et de malice.
Un éditeur