Oliver Rohe, sort les armes
Si Ma dernière création est un piège à taupes n’a pas la même ambition qu’Un peuple en petit, le précédent roman d’Oliver Rohe, du moins marque-t-il un tournant dans l’œuvre du romancier. Tiré d’une pièce radiophonique, Ma dernière création… mêle trois textes en un seul. On a d’abord l’histoire de Mikhaïl Kalachnikov, paysan soviétique, déporté avec sa famille en Sibérie au lendemain de la révolution d’octobre et qui parviendra à se faire un nom grâce à son invention, le fusil d’assaut AK-47. C’est à cet objet emblématique de la deuxième moitié du XXe siècle qu’est consacré le deuxième texte. On en suit l’invention, mais surtout la dissémination à travers le monde et ce que cette arme a produit de conflits (nationaux, terroristes). Enfin, écrit en italiques, le troisième fil narratif semble commenter des images filmées qui montrent, au quotidien, les usages variés du fusil d’assaut. Rohe montre notamment comment de symbolique (de la liberté), l’objet est devenu un pur produit commercial (et les guerres le meilleur moyen de le vendre).
Dans son portrait de Kalachnikov, Oliver Rohe fait entendre l’idiotie butée du personnage obnubilé par son désir de donner aux autorités une arme parfaite, belle et efficace sans jamais s’interroger sur son usage. Le jeune Mikhaïl ne coïncidera avec lui-même qu’après avoir découvert un pistolet automatique : « il touchait là pour la première fois de sa vie à une arme à feu et ça avait été alors comme un jeune chien découvrant son aboiement. »
C’est en rassemblant, sous le prisme de l’AK-47, tout un siècle d’Histoire, que Rohe donne à travers ce livre une nouvelle direction à son œuvre. Le champ s’est élargi considérablement et le « nous » qui porte le récit quasiment documentaire ancre cette Histoire dans nos vies. Ce virage, le romancier le fait en rassemblant aussi en ces quelques pages, une part de chacun de ses livres. Le « défaut d’origine » s’attache ici à un Kalachnikov obligé de falsifier son identité pour échapper au goulag. L’homme possède quelques traits du narrateur de Terrain vague, dans la manière avec laquelle il vivra retranché dans son atelier la fin de l’empire soviétique. Quant à la schizophrénie de David Bowie et de ses hétéronymes évoquée dans Nous autres, on la retrouve dans l’arme elle-même, déclinée en hétéronymiques cousines à travers les pays satellites de l’URSS. Enfin, dans l’évocation de la kalachnikov au Liban, on retrouvera quelque chose du roman précédent. Comme si ce livre était une œuvre en petit.
Thierry Guichard
Ma dernière création est un piège à taupes
Oliver Rohe
Inculte, 84 pages, 13,90 €