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Textes & images Les princes du papier

mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143 | par Gilles Magniont

Retour au siècle dernier, quand les recherches formelles, en URSS ou en Italie, venaient se frotter aux enfants.

Revue annuelle et « polygraphique », DMPP consacre plus de cinquante pages d’un savant dossier à la redécouverte de Lev Youdine (1903-1941). On y apprend comment ce dernier passa de la peinture abstraite et cubiste au livre pour enfants, en même temps qu’on suit pas à pas l’évolution de la vie artistique soviétique des années 20-30. Dans les premières années de la révolution, les écoles avant-gardistes proliféraient, ainsi celle de Vitebsk où Youdine suivait l’enseignement de Malevitch voué au suprématisme : souveraineté des formes pures, des couleurs pures, des sentiments purs, et hop les étudiants décorent les tramways en ne se préoccupant que de ces formes, ces couleurs, cette apesanteur, cette vitesse. Ça n’a qu’un temps : vient celui du réalisme socialiste, hors duquel il n’est qu’activités antisoviétiques, éléments réactionnaires, interrogatoires et travaux forcés. Youdine se consacre alors à des revues de littérature pour la jeunesse que favorise le parti (dans sa lutte contre l’analphabétisme comme dans son souci d’éducation idéologique), et qui constituent un refuge et gagne-pain pour nombre d’artistes. Pour ces fascicules dont le tirage peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, il découpe des papiers : de toutes petites silhouettes qu’il entend réaliser avec « simplicité et dextérité », réutilisant le vocabulaire de l’abstraction et ses géométries en retournant à la figure, prise dans des séries rythmées et joueuses. De l’esthétisme bourgeois, jugent les autorités compétentes ; et Youdine meurt quoi qu’il en soit sur le front de Leningrad. Ses derniers travaux connus sont des sculptures en papier ; disparues, seules demeurent d’émouvantes photos, petites choses entortillées et fragiles.
Né quatre ans plus tard, Bruno Munari (1907-1998) eut plus de chance. En 56, il se présente ainsi : « Quand il ne crée pas des livres pour les enfants, Munari dessine des objets industriels, organise des expositions, dort et se réveille comme tout le monde, mais, vous l’aurez compris, ce n’est pas un peintre de chevalet des temps passés, plutôt un artiste moderne, un “designer” comme on dit. » À ouvrir aujourd’hui les rééditions de Dans la nuit noire (56) et Dans le brouillard de Milan (68), c’est bien cette modernité qui éclabousse : rayonnants autant que délicats, ces livres-objets exempts de tout trait niaiseux semblent se ressentir du futurisme (d’où provient Munari), mais d’un futurisme léger, où les machines urbaines ont bien sûr droit de cité, mais aussi les brins d’herbe et les scarabées. Difficile de résumer l’ondoyance de ces mondes miniatures autrement qu’en décrivant imparfaitement une série de glissements parmi les formes, les couleurs et les papiers, soutenue par une narration en forme de promenade qu’accompagnent de discrètes légendes. Dans la nuit noire se succèdent trois grands volets : pages de carton noir où un petit trou paraît ouvrir sur une intrigante lumière / qui s’avère celle d’une luciole volant sur des feuilles de calque où viennent se surimprimer les bestioles affairées dans la prairie matinale / parmi lesquelles des fourmis nous entraînent dans une grotte de carton gris et béant d’où l’on pénètre dans une grotte, puis un gouffre pour remonter jusqu’au temps des peintures préhistoriques – les fourmis trouvent enfin la sortie, le jour ou nuit ?
Dans le brouillard de Milan nous voilà encore égarés ; « Marcher dans le brouillard, c’est comme fureter dans le rêve de la nature : les oiseaux se déplacent par peur de se perdre ; les panneaux de signalisation des rues disparaissent (…) les feux rouges, verts et orange colorent les épaisses nappes de brouillard » : confusions que réalise le livre, où les encres des autobus et des motos se chevauchent sur les calques, avant qu’éclatent les teintes naïves d’un cirque qui se dévoile de cercle en cercle découpé sur la page, cirque dont on s’extrait pour pénétrer parmi les sombres transparences d’un grand parc aux branches mystérieuses. « Fare vedere l’aria » c’est-à-dire rendre l’air visible  : le vœu que Munari avait exprimé dans de nombreux textes théoriques correspond exactement à l’enchantement que produisent ces pages alchimiques.

Gilles Magniont

DMPP N°9
The Hoochie Coochie, 208 pages, 18

Dans la nuit noire et
Dans le brouillard de Milan
de Bruno Munari
éd. Les Grandes personnes, 60 pages et 22,50 chacun

Les princes du papier Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°143 , mai 2013.
LMDA papier n°143
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