Yves Charnet, écrire l'autofiction
Commençons par un aveu : le récit d’un divorce, ça ne nous intéresse pas. La déchirure, la rupture, la haine après l’amour. La police qui vient écarter le père de ses enfants à la demande de la mère, c’est triste, mais c’est d’une banalité affligeante. Ça vous est peut-être arrivé, ça nous arrivera peut-être, c’est arrivé à Yves Charnet. Mais l’amour : pareil. C’est toujours la même chose : les emballements du cœur, la joie extrême, le désir. Quand c’est aux autres que ça arrive, ça ne nous intéresse pas.
Après La Tristesse durera toujours paru au début de l’année, Yves Charnet poursuit la tenue de carnets intimes, cousus comme on coud une blessure, mais sans anesthésie. C’est dans la chair que l’écriture taille sa route, à coups de phrases nominales crachées sur la page, d’une plainte bégayée entre prose et poésie, claudicante parfois sur des mots fabriqués à partir de débris : autoportrait d’un « mélancolyrique » au miroir brisé. Non pas l’autobio d’un narcisse shooté aux regards des autres, mais plutôt les éclats écrits d’un être fêlé depuis l’enfance. Un orphelin de soi-même qui a protégé son cœur derrière les romances mièvres de la variété populaire ou sous la protection des coups de poings des chanteurs poètes. Car Charnet écrit depuis la partition d’un chant disparu dont ne resteraient que des échos d’outre-tombe. « On reste le contemporain de ses fantômes » dit cette voix. De ce divorce, nous ne dirons rien, il ne nous concerne pas. Le livre part de là, fait mine de dire ça, mais en fait, c’est autre chose que la langue fouille. Ce ne sont pas non plus les aveux tristes d’une sexualité d’hôtels qui nous retiendront. Ces amours paumées au sortir d’arènes où d’autres saignent, où parfois la gloire tombe comme une récompense ou une calamité. Ce qui nous retient dans ces pages où travaille une cruauté sans mesure, c’est l’ombre et la lumière. Comment la phrase, son rythme, vise l’éclat éblouissant et atteint l’obscurité : la lumière est pour les autres, Javier Tomas et sa blessure aveuglante à San Marcos, Maurice Pialat et son aveuglante douleur. L’obscurité est pour lui-même, l’auteur, l’homme écorché qui porte « les guenilles du chagrin », l’enfant éternel qui gémit sa souffrance sur des notes en mode mineur. « C’est insoutenable. Comme cet écart entre les mots & les choses. On n’écrit jamais que son inexpérience du monde. » On devine dans cette musique qui passe sous les phrases un monde idyllique d’avant la naissance ou d’après les fables. Quand soi et l’autre ne faisaient qu’un. Et on comprend alors que c’est de ce divorce qu’il est question : la séparation de l’homme et du monde. Et ça, ça nous intéresse forcément.
T.G
Le Divorce
Yves Charnet
Belin, « L’Extrême Contemporain »
154 pages, 17
