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Histoire littéraire Le goût de vivre

novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148 | par Richard Blin

À travers la correspondance de Camus avec Ponge, Martin du Gard ou Guilloux, se lit la volonté d’être, résolument. Une manière d’épicurisme tragique aussi lucide qu’implacable.

Parce qu’elle eut lieu il y a cent ans, le 7 avril 1913, la naissance d’Albert Camus nous vaut le plaisir d’entrer dans l’intimité de la correspondance qu’il entretint avec Francis Ponge, Roger Martin du Gard et Louis Guilloux.
Lorsqu’ils se rencontrent, début 1943, Ponge a 44 ans et Camus 30. Le premier vient d’innover avec son Parti pris des choses (1941), une forme d’objectivisme qui intéresse beaucoup Camus qui, de son côté, vient de publier L’Étranger, et travaille à un Traité de l’absurde – qui deviendra Le Mythe de Sisyphe – et dont il a confié une copie à Pascal Pia, qui l’a donnée à lire à son ami Ponge. Troublé de retrouver chez Camus un écho à ses propres interrogations devant l’épaisseur et l’étrangeté du monde, il a demandé à Pia d’organiser une rencontre. « J’aimerais qu’il me connaisse de visu avant que je lui envoie des paroles à travers la figure ».
La correspondance qui s’ensuivit va d’abord s’articuler autour de la question de l’absurde. Une manière pour Ponge de « mieux penser ce qu’il pense » et pour Camus d’oublier la dure réalité. Car une rechute de sa tuberculose l’oblige à se soigner en Haute-Loire. Ce fils du soleil et de la mer s’y sent en exil et l’amitié de Ponge lui est un vrai réconfort. Une amitié, dit Camus, « qui admet nos différences et qui ne les juge pas ». Car elles existent ces différences, à commencer par la place à accorder à la question de l’expression. « Le problème de l’expression n’est si utile pour vous, écrit Camus, que parce que vous l’identifiez à celui de la connaissance. (…) Pour vous, dans une certaine mesure, trouver le mot juste, c’est pénétrer un peu plus au cœur des choses. Et si votre recherche est absurde, c’est dans la mesure où vous ne pouvez trouver que des mots justes et jamais le mot juste ; comme la recherche absurde parvient à se saisir de vérités et jamais de la vérité. »
Des échanges qui vont se multiplier – 26 lettres pour la seule année 1947, sur un total de 57 lettres –, mais là où Ponge affirme son assurance, Camus dit son hésitation, prône la loyauté du raisonnement, « car les résultats que l’on obtient par la tactique, serait-ce la puissance du monde, ne valent pas qu’on perde ces biens d’apparence si dérisoire pourtant, que sont la justice et l’honneur ». Et les différences vont virer à la divergence, ce qui ne sera pas le cas avec Roger Martin du Gard.
Et pourtant plus de trente-deux ans les séparent. C’est Malraux qui a attiré l’attention de Martin du Gard sur l’œuvre de Camus et ce sont les éditoriaux de ce dernier, dans Combat, qui le pousseront à lui écrire. Une correspondance qui va éclairer la dernière partie de la vie de Martin du Gard (1958). À sa désespérance – « Les valeurs qui m’ont formé se sont peu à peu vidées de leur sens, de leur efficacité. Des mots creux, des mythes usés, devenus stériles ! Rien de tout cela ne colle plus avec l’histoire que nous voyons se faire. Tout fout le camp… » –, Camus va opposer des raisons de ne pas abdiquer. Avec succès. « Aucune voix contemporaine n’a tant de prise sur moi et ne me persuade aussi vite, aussi profondément. » C‘est qu’ils partagent la même résistance face aux intimidations de la violence, tout en la sachant à la fois inévitable et injustifiable. Deux hommes obnubilés par la nécessité de ne pas perdre espoir, et qui, à vingt ans d’intervalle, 1937 pour l’aîné, 1957 pour le cadet, obtiendront le prix Nobel. Une correspondance tout en complicité fraternelle, à l’image de celle qu’échangea Camus avec Louis Guilloux.
Eux, ils se sont rencontrés, l’été 1945, chez Gallimard. Guilloux, l’auteur du Sang noir (1937) a 46 ans, Camus, 32. Entre le Breton de Saint-Brieuc et l’Algérien de Paris, les affinités sont nombreuses. Ce sont deux fils du peuple qui ont connu la maladie, font preuve d’une même sensibilité à l’injustice et d’une même fraternité avec tous les opprimés. Leur relation est immédiatement con-fiante, ce qui permet à Camus de s’épancher un peu – « Si l’on doute, si l’on crée, si on a envie d’aimer ou d’être aimé, à qui le dire ? » –, d’évoquer sa solitude – « Des tas de gens m’entourent, mais ils demandent toujours et je ne reçois rien. » –, de faire allusion à ses crises d’angoisse. De son côté Guilloux peut revenir sur le suicide de celui qui fut son maître, Georges Palante. Deux hommes qui ne cessent de lutter contre l’intelligence qui s’abaisse « jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression ». Deux hommes persuadés qu’il y a l’Histoire et qu’il y a autre chose, la beauté du monde, « la lumière, dit Camus, la passion, la sainteté, les chats, l’amitié, toutes choses qui ne sont pas dans l’histoire et qui sont aussi vraies que le reste ».

Richard Blin

Albert Camus et Francis Ponge
Correspondance 1941-1957, éd. de Jean-Marie Gleize
Albert Camus et Roger Martin Du Gard
Correspondance 1944-1958, éd. de Claude Sicard
Albert Camus et Louis Guilloux
Correspondance 1945-1959, éd. d’Agnès
Spiquel-Courdille,
Gallimard, respectivement 170 p., 15,90  ; 274 p., 18,50  ; 170 p., 18,50

Le goût de vivre Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°148 , novembre 2013.
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