Le Nobel de Jérôme Ferrari
Depuis l’obtention du prix Goncourt en 2012, le grand public connaît l’attachement particulier de Jérôme Ferrari pour l’île de Beauté qui se trouve à l’origine de son œuvre et toujours présente dans ses livres. On ne sait pas comment sont les Corses, si tant est qu’il y ait une manière d’être corse, mais l’homme qui nous reçoit dans le bel appartement parisien qu’il occupe avec sa femme et sa fille présente une personnalité plus complexe qu’il n’y paraît tout d’abord. L’accueil est chaleureux et simple, sans ostentation. On se dit tout de suite que cet homme-là doit être un bon camarade, un frangin de chaque jour. Et puis il y a cette écoute, tendue, concentrée qui révèle une exigence du moment : que chaque mot ait du sens. On sent assez vite une tension intérieure chez lui. Peut-être parce qu’on l’a lu et qu’on sait les gouffres que côtoient ses personnages et l’humanité tout entière dans ses livres. Une tension qui s’est exprimée avec une sorte de rage dans son premier livre, Variétés de la mort (Albiana, 2001), où l’objet de son amour, la Corse, en prenait pour son grade. On imagine assez bien l’homme face à nous, qui n’a pas un physique de troisième ligne, se rougir de sang les phalanges des poings à pas d’heure, au sortir d’un bar où ne règne plus que l’ivresse. Et on le devine aussi tout absorbé par des lectures transatlantiques, studieux comme pas deux, recevant le monde dans une sorte de communion avec les mots.
« Ce qui m’a beaucoup intéressé pour écrire des fictions, c’est que les modalités de regroupement dans les villages corses sont géographiques et pas socioculturelles. »
Ce Corse-là est né en 1968 dans le 16e arrondissement parisien. « Aussitôt après on a repassé le périphérique », et la famille s’installe à Vitry-sur-Seine où le futur prix Goncourt va passer ses vingt premières années. La famille, c’est d’abord un père informaticien pour Air France à Montparnasse : « Mon père a commencé à travailler dans l’informatique en 1963. Il m’avait dit qu’alors le disque dur prenait tout un étage du bâtiment qu’ils avaient. Il a vraiment fait le début de l’informatique. L’intérêt de travailler pour Air France, c’est qu’on ne payait pas l’avion donc on partait en Corse à chaque vacance scolaire. » C’est une mère institutrice, une sœur et un frère qui ne tarderont pas à le laisser quasi-fils unique : « je suis le dernier enfant, et un enfant tardif : ma sœur a dix ans de plus que moi et mon frère un peu plus de huit. Du coup, je suis resté seul enfant à la maison assez longtemps une fois qu’ils ont quitté le domicile familial. » Et puis ce sont les grands-parents qui du 11e arrondissement parisien font aussi le déménagement pour s’installer près de leur fille et de leur gendre à Vitry. « Le village en Corse où je passe toutes les vacances, c’est leur village. » L’été d’abord puis, assez vite, chaque fois que possible, la famille rejoint les cousins dans la grande maison des Bozzi. Côté paternel, on est corse aussi, et...