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Traduction Claire Malroux*

mai 2015 | Le Matricule des Anges n°163

Le Merle, le loup de Henri Cole

Traduire un ouvrage ou une œuvre littéraire découle le plus souvent chez le traducteur d’un choix, d’une rencontre fécondante avec un texte. Il tombe amoureux de l’écriture d’un auteur et son travail consiste, plongé qu’il est dans ce trouble, à accoucher d’un texte nouveau qui absorbe l’élément étranger sans entièrement le dissoudre. Mais le hasard peut aussi bien provoquer la rencontre. C’est ainsi que, si j’ai choisi la traduction de textes dits classiques (mais quoi de plus contemporain ?) écrits par des poètes disparus, Emily Dickinson ou Wallace Stevens, c’est presque toujours le hasard qui a mis sur ma route des poètes américains contemporains, dont très récemment Henri Cole. Ma première confrontation avec sa poésie est le fait d’une commande de portée restreinte, émanant non d’un éditeur de littérature, mais d’un spécialiste de l’art. Vivement touchée, j’ai poursuivi l’aventure avec les éditions du Bruit du temps.
Il existe néanmoins un lien certain entre tous ces poètes, qui à première vue tient à une forme relevant d’une liberté contrôlée diversement pratiquée par chacun d’eux. De façon moins apparente, la poésie d’Henri Cole s’inscrit en complément et contrepoint de ces deux grandes voix de la poésie américaine par sa double marginalité puisque, issu de l’Amérique profonde, fruit de l’union d’un homme appartenant à une lignée métissée de cultivateurs pauvres de Virginie avec une Française émigrée d’origine arménienne, il est également sur le plan social un « gay ». Sa propre voix est d’autant plus singulière que, pour exprimer cette marginalité, il a choisi la forme fixe, contraignante, du sonnet, qu’il imite et libère tout à la fois. De ce contraste il joue subtilement, dissimulant son souci esthétique derrière une surprenante candeur, se refusant à masquer la vérité trouble et sombre par certains côtés de sa personnalité.
La difficulté a donc consisté pour moi à passer du style elliptique et haché du poème de Dickinson hérité de l’hymne religieux, quoique déjà allégé en rimes puisque le quatrain n’en comporte que deux au lieu de quatre, et de l’enveloppante méditation de Stevens, dont la langue se rapproche du français, à l’écriture extrêmement fluide d’Henri Cole où, dans l’espace restreint de quatorze vers, on passe de la réalité la plus familière et la plus brute à l’image ciselée qui clôt assez fréquemment le poème.
Les trois derniers vers du poème To sleep, dans Le Merle, le loup, se lisent par exemple ainsi :
… as the rebellious,
mortal I, I, I lay, like a beetle irrigating a rose,
my red thoughts in a red shade all I was.
À l’image crue, précise, érotique, du scarabée irriguant une rose, succède une image picturale plus floue, la dissolution de la conscience, pensées rouges, dans l’indifférencié de l’inconscient, une ombre rouge. Voilà trois vers qui en apparence ne riment pas, mais rebellious, rose et was se font écho. Et que dire de ce I, trois fois répété, comme une bouée à laquelle se raccrocher dans cette perte d’identité, un cri poussé à l’instant de se noyer (non sans volupté), que l’impitoyable syntaxe du français m’a empêchée de tripler à mon tour : tandis que le je rebelle,/ mortel, ce je, reposait comme un scarabée… Comment n’aurais-je pas pensé à la fleur et à l’abeille de Dickinson qui « en recense les nectars/ Pénètre – et se perd dans les Délices. »  ?
Cette syntaxe est mise à rude épreuve dans des sonnets constitués d’une unique phrase ondulant d’un bout à l’autre, tel le fil d’une pelote qui, maladroitement tiré par son traducteur français, se casserait en se tordant sur lui-même. Henri Cole l’emploie souvent, qu’il s’agisse d’abeilles, de mouettes ou de canes, déguisements de ses fluctuantes émotions, ou de réalités cruelles, une mère mourante, un animal qu’on mène à l’abattoir, aussi bien que d’émotions purement artistiques. Une phrase unique n’est peut-être pas déroutante pour le traducteur français rompu à la syntaxe proustienne, mais elle exige de dérouler la pelote et la ré-enrouler prudemment à travers un enfilement de participes présents difficiles à distinguer du participe adjectivé, ou leur entremêlement avec des subordonnées introduites par une conjonction ou un pronom relatif répétés. Dans Mère morte, par exemple, la conjonction as, tandis que, s’applique tantôt à la mère, tantôt à l’observateur, tantôt à un chien, pour revenir à la fin à ce même observateur.
Ces quelques problèmes techniques mettent en évidence la propension d’Henri Cole à laisser le poème tantôt s’épanouir comme une plante, tantôt s’écouler comme l’eau, tantôt flotter comme une rêverie, un sentiment, un souvenir. Mais le rythme empêche le poème de se fluidifier jusqu’à sombrer dans le prosaïsme. Cela nécessite que le traducteur dont la langue ne possède pas les mêmes vertus prosodiques que l’anglais comble ce manque par les qualités inhérentes à la langue française, la précision du vocabulaire, la souplesse de la syntaxe, la vision claire du tout.

Henri Cole

* Traductrice entre autres d’Emily Dickinson, Dereck Walcott, Elizabeth Bishop. Le Merle, le loup suivi de Toucher vient de paraître aux éditions du Bruit du temps.

Claire Malroux*
Le Matricule des Anges n°163 , mai 2015.
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