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Égarés, oubliés Pas de chouchou pour les muses

mai 2015 | Le Matricule des Anges n°163 | par Éric Dussert

Bien avant Frédéric Beigbeder, le jeune publicitaire Lionel Chouchan aura tenté lui aussi le roman crac-boum-hue.

Lionel Chouchan a 27 ans et de solides diplômes en poche lorsqu’il fait paraître La Tête enflée chez Denoël. En 1964, c’est un coup de dés, notamment pour l’éditeur qui a investi des moyens inhabituels dans cette publication très originale. Les bibliopoles cherchent alors la perle rare parmi les jeunes. Jean-Pierre Castelnau s’apprête à publier SchrummSchrumm ou l’excursion aux sables mouvants, le roman de Fernand Combet (né en 1936) sous la marque Pauvert (1966), tandis que font leurs premiers pas remarquables et remarqués Marcel Moreau (1933), René Ehni (1935), Claude Louis-Combet (1932) – le deuxième livre de Bernard Noël (1924), La Face du silence, ne paraîtra qu’en 1967. Une certaine effervescence secoue les lettres encore assujetties aux jérémiades et aux académismes des cadors d’alors. Dans cette ambiance, Lionel Chouchan joue brillamment son coup. Sorti de l’École supérieure de commerce de Rouen, il a quelques idées sur la question de la promotion et va démontrer qu’il sait s’y prendre. D’abord il change de nom, devient Chouchon, avec l’espoir, peut-être, de devenir le chouchou des muses.
Avec sa bonne tête sympathique, il s’attelle à un « roman d’époque », un truc qui fait crac-boum-hue. Son but est d’épater la galerie avec un livre comme personne n’en a écrit avant lui. Une histoire d’amour avec pin-up désinvolte, certes – il n’a pas encore beaucoup vécu –, mais une histoire « Pop-Art » dont le héros est un apprenti chanteur, Lucien Pollet, jeune homme de 29 ans plein d’ambition et de candeur, et son histoire est pleine de « morceaux dedans » comme on va voir. Par un malheureux coup du sort, Georges Perec va lui ravir la vedette avec Les Choses. Une histoire des années soixante (Julliard, « Lettres nouvelles »). Imprimé le 15 octobre 1965, La Tête enflée de Lionel Chouchon aura juste le temps de clamer qu’elle fait « Pop » – un « pop » qui ressemble rétrospectivement à un « flop » : Perec rafle le Renaudot un mois plus tard, le 15 novembre 1965…
Les éditions Denoël avaient pourtant mis de gros moyens sur ce livre qui « ressemble à notre époque mécanique et visuelle ». Avec sa reliure éditeur et sa jaquette, c’est en fait un « roman-objet » où Lionel Chouchon a trouvé le moyen de souligner l’infra-ordinaire du ticket de métro et du trèfle à quatre feuilles, de la quittance de loyer, de l’étiquette de boîte de conserve (salade de fruits au sirop) ou de disque vinyl (Jacques Brel) et de l’épingle à cheveux, éléments prégnants de la vie quotidienne dont Denoël a pris soin de faire encoller des exemplaires dans chaque volume. À quel prix, on se le demande, et pour quel tirage ? Le livre a tout du projet extrême. Les jeux typographiques y abondent, de nombreux calligrammes de toutes formes constellent le récit, la page 73 est composée tête-bêche, sans oublier les pièces à façon tel ce napperon de papier découpé ou la photographie originale de cette jolie Suédoise nue au joli petit cul.
Apparemment Lionel Chouchon n’avait pas que cette corde à son arc. Né le 1er octobre 1937 à Paris, il a déclaré à l’un de ses éditeurs écrire depuis l’âge de 12 ans. Après son passage dans les classes du lycée Turgot et de l’École alsacienne, il s’adonne à l’étude du droit et du commerce. Lors de la parution de La Tête enflée, il travaille comme rédacteur dans une boîte de pub. Entre la création d’entreprises de tests ou d’agences de com, il poursuit son œuvre littéraire avec L’Addition ou l’Odyssée d’un techno-bureaucrate (Denoël, 1967) et Les Petits Anars, novembre 1969-mars 1971 (Julliard, 1971), etc., tout en participant à la création des festivals d’Avoriaz, de Deauville et de Cognac, au Japon aussi où il travaille pour la promotion du sumo, et il additionne à sa bibliographie une dizaine d’ouvrages. Mais ce qui avait finalement bien commencé du point de vue de l’inspiration va se placer sous le signe d’un humour ambivalent qui conduit sans faiblir aux extrémités de Mon Papa Razzi (2011), en passant par Le Papanoïaque (1980), De la boulotique à la débilotique (1989), Cocoricouac ou la France coupée en deux (1977), Ras le bol point com (2000), et cette Lettre ouverte aux fatigués, aux assistés, aux pensionnés, aux amoindris, aux amortis, aux avachis (1984) que l’on n’ouvrira qu’avec prudence si l’on est en quête de littérature. On se réjouira en revanche de pouvoir se la procurer à 0,01  ; sur Amazon. Et quand c’est si gratuit, c’est pas cher, ce sont les publicitaires qui nous l’ont dit.
Bref, à trop manipuler le « concept vendeur », Lionel Chouchon a donc fini par se laisser aller à des livres de circonstance. Et même si certains d’entre eux étaient de nature à faire s’ébaudir le Joseph Prudhomme de notre époque, Bernard Pivot, qui a toujours trouvé « formidable » des textes sans intérêt, il y a tout à parier que le jeune Lucien Pollet n’avait pas cette piètre gloire en tête du tout.

Éric Dussert

Pas de chouchou pour les muses Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°163 , mai 2015.
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