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Domaine étranger La littérature se perd dans le néant

novembre 2015 | Le Matricule des Anges n°168 | par Xavier Person

Qans la rétrospective que lui consacre actuellement le Centre Pompidou, Dominique Gonzalez-Foerster a imaginé une chambre dont seul son ami Enrique Vila-Matas aurait l’accès. Celui-ci en retour a écrit un livre dont peut-être seule l’artiste a la clé. Marienbad électrique est le livre de l’amitié entre l’artiste et l’écrivain, il est l’écho de leurs conversations et plus que cela. Comme souvent chez cet auteur, le livre que nous lisons n’est pas exactement le livre que nous croyons lire. La clé nous en est donnée à nous seul, qui n’ouvre sur rien, telle est la révélation à quoi il nous conduit parfois, avec une grâce un peu diabolique. Qu’il n’y ait rien à écrire que l’impossibilité d’écrire, par exemple, a pu conduire son écriture dans des zones, certes paradoxales, mais joueuses, mais ouvertes, sensibles aux moindres frémissements de l’âme, aux moindres mouvements du cœur. Que la chambre au centre du livre nous n’y ayons pas accès, c’est ce que nous apprenait déjà Freud avec son idée de l’ombilic du rêve, selon laquelle subsisterait toujours, au-delà de toute interprétation, une zone d’inintelligibilité, un noyau inatteignable, quelque chose qui de nous-même nous échappera toujours, malgré nos efforts pour comprendre nos rêves. Nous aurons beau pousser la porte d’une chambre plus intime, rien ne nous dit qu’il n’y ait pas une autre porte à pousser, pour accéder à encore une autre chambre. Dans son Journal volubile, Enrique Vila-Matas défend l’idée que cacher un secret est essentiel «  pour recomposer notre singularité maltraitée  ». Et pour défendre ce secret, c’est tout un art de la ruse qu’il faut déployer, si l’on en croit Georges Perec, qui lorsqu’il nous raconte sa propre psychanalyse, au moment où on s’attend à ce qu’il nous livre la clé de son histoire, se dérobe dans une pirouette qui sans doute est toute la vérité de la littérature : « Pendant longtemps, écrit-il dans Les Lieux d’une ruse, on croit que parler veut dire trouver, comprendre, comprendre enfin, être illuminé par la vérité. Mais non : quand ça a lieu, c’est là, on parle, on écrit : parler, c’est seulement écrire, tracer des lettres sur une feuille blanche.  » C’est ce que dit Vila-Matas dans son Journal, citant Roberto Juarroz : « Au centre du vide, il y a une autre fête.  »
On se souvient de cette pièce inutile que tente d’imaginer Perec dans Espèce d’espace  : « Ça n’aurait pas été un débarras, ça n’aurait pas été une chambre supplémentaire, ni un cagibi, ni un recoin. Ç’aurait été un espace sans fonction. Ça n’aurait servi à rien, ça n’aurait renvoyé à rien.  » Vila-Matas à son tour essaie d’imaginer cette pièce inimaginable, qui ne servirait à rien, dont ce rien serait une fête. Dans Marienbad électrique, il rapporte les propos de Dominique Gonzalez-Foerster, qu’il pourrait reprendre à son compte : «  Je dis parfois que je fais un type de littérature qui se perd dans le néant parce que je ne suis pas capable d’écrire.  » Car écrire est un rêve dont on n’atteint jamais le centre, comme dans La soupe chaude cité ici, où Walser décrit comment nous mangeons une soupe trop chaude en l’attaquant par le bord, de sorte que la soupe tout entière se transforme en bord, jusqu’à son centre. Le dehors est le dedans. Écrire un secret n’est jamais qu’écrire et vice-versa. Une conversation est un rêve, ainsi que ce livre et sa manière de tourner autour de cette chambre fermée, qui serait comme le cœur de l’écriture, cette lumière qui lui donne vie et qui est bien autre chose que ce dont parle le livre. Car par le biais de l’art, c’est une vivacité qu’il s’agirait de retrouver, qui ferait une « lumière scintillante  ». Car que reste-t-il au fond sinon la vie même ?
Dans un texte saisissant, qu’il vient de donner à la revue Lignes où Michel Surya invite à penser les attentats de janvier, Georges Didi-Huberman pousse la porte d’une pièce intime. Avec lui, nous entrons dans la chambre d’hôpital où Simon s’est peu à peu réveillé du coma. Ce jeune homme de trente-deux ans, lors de l’attentat à Charlie Hebdo, a reçu une balle de Kalachnikov qui lui a brisé la colonne vertébrale. Dans cette chambre, ce survivant « travaille à vivre ». Son corps lentement se remet en mouvement. Il doit « se soulever pour naître  », écrit Didi-Huberman qui en écho à ce soulèvement évoque le moment où des migrants à Lampedusa mettent pied à terre après avoir risqué leur vie. Et, dit-il, « on comprend que les survivants soulèvent non seulement leurs propres désirs, mais les nôtres tout aussi bien.  »

MARIENBAD ÉLECTRIQUE D’ENRIQUE VILA-MATAS
Traduit de l’espagnol par André Gabastou, Christian Bourgois éditeur, 119 pages, 15

Lignes, N°48 « Les attentats, la pensée », 224 pages, 20

La littérature se perd dans le néant Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°168 , novembre 2015.
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