C’est la voix d’Haïti que fait valoir la quarantaine de poètes figurant dans cette magnifique anthologie bilingue conçue en coédition par les membres de l’Atelier Jeudi soir, eux-mêmes écrivains, professeurs et éditeurs. L’ambition de ce volume collectif est avant tout de présenter « un aperçu de la vitalité de la poésie haïtienne d’expression créole. » En 1987, la constitution haïtienne reconnaît le créole comme langue à part entière. Depuis la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986, l’usage du créole est enfin délivré « de la solitude militante des années de dictature. » Ce florilège constitue une défense et illustration de cette langue d’une extrême richesse et inventivité. Jeudinéma en redéfinit les contours lorsqu’il précise en deux vers d’une parfaite clarté : « Les contorsions de la terre ont cassé les reins à la vie/ Dans ce pays de cadavres pourris ». Cette terre haïtienne, omniprésente d’un poème à l’autre, se propose avant tout d’être célébrée comme terre des hommes, tout autant soumise à leur violence qu’à celle d’une nature qui ne l’est pas moins. La hantise des catastrophes naturelles et climatiques obsède tout autant l’île que les secousses de son histoire politique. La pulsation qui retentit ici, est animée par un profond désir de justice. Car cette parole qui veut croire en la vie, en se libérant, s’affirme puissamment comme langue, selon Lyonel Trouillot et Mehdi Chalmers, de « re-création ». Sans doute, s’agit-il aussi d’une renaissance qui redonne à tout un peuple une poésie intensément vivante contrastant de beauté avec le temps qui la ranime. C’est là, nul doute, une nécessité pour quiconque déclare et se reconnaît dans ces mots : « Nous sommes/ Esclaves des catastrophes d’ici ».
E. Rodrigues
Poésie Anthologie bilingue de la poésie haïtienne de 1986 à nos jours
novembre 2015 | Le Matricule des Anges n°168
| par
Emmanuelle Rodrigues
Un livre
Anthologie bilingue de la poésie haïtienne de 1986 à nos jours
Par
Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°168
, novembre 2015.