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Poésie Le réel à l’état sauvage

mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171 | par Richard Blin

Comme Rimbaud, qui aimait les « peintures idiotes », Ivar Ch’Vavar cherche à rendre palpable la poésie jusque dans le plus humble, le plus brut, le plus fou.

Cadavre grand m’a raconté

Insensée, admirable, unique l’entreprise que cache cette monumentale Anthologie de la poésie des fous et des crétins dans le nord de la France, signée Ch’Vavar et Camarades. Un livre de plus de 500 pages au format 16 x 23 cm, dont c’est la troisième édition, considérablement augmentée puisqu’elle regroupe 90 auteurs dont la très grande majorité sont des hétéronymes d’Ivar Ch’Vavar. C’est l’aboutissement d’une aventure qui a commencé au début des années 70. Constatant, avec quelques camarades, que depuis Ducasse, Rimbaud, Mallarmé – malgré les tentatives que furent le surréalisme, le lettrisme ou le spatialisme – que la poésie était comme morte, il fut décidé de repartir à zéro, de la réinventer. En expérimentant des formes nouvelles, en repensant un cadre formel, en refondant le vers, en faisant de la confrontation entre une langue et un monde, la raison d’être de la poésie. Pas n’importe quelle langue, mais celle qui se parle et se partage, et pas n’importe quel monde mais celui où se tient l’homme qui éprouve qu’il vit, et qui l’éprouve en écrivant. D’où la notion de « Grande Picardie mentale » – Ivar Ch’Vavar est né à Berck, en 1951, et vit à Amiens – et la création des revues que furent L’Invention de la Picardie (1985-1995) – « l’invention » au sens de redécouverte d’une chose qui existait – et Le Jardin ouvrier (1995-2003 – Flammarion, 2008), un titre qui dit combien il s’agit de recommencer la poésie en partant du plus bas, de sa matérialité la plus immédiate, ce dont témoignent exemplairement et à leur façon les textes composant cette Anthologie.
En feignant de donner la parole à des fous, et en se comptant – avec Lucien Suel, Louis-François Delisse et quelques autres – au nombre de ces poètes nuls, naïfs ou tordus, Ivar Ch’Vavar nous entraîne dans une étourdissante ronde infernale autour du « cadavre rayonnant » de la poésie. Une façon de montrer – et de dépasser – le fait qu’on ne peut pas continuer d’écrire de la poésie comme s’il n’était pas devenu impossible d’écrire de la poésie. C’est cet impossible qui fascine, génère cette post-poésie qui est de la poésie sans en être, qui relève de la « haine de la poésie », d’une critique de la « belle poésie », vit et vibre des tentatives qu’elle fait pour s’accorder avec les rythmes d’un réel sans cesse en gestation ou en devenir.
Comment dire avec des mots ce que les mots ne peuvent dire, ce qui est là, tout de suite, avant la langue ? Peut-être en mimant sa présence sensible, en s’y enfonçant. En faisant l’idiot, en désapprenant – c’est-à-dire en apprenant à écrire autrement, en renouant avec une sorte de poésie première, au sens d’arts premiers. Une poésie brute, en rupture avec l’ « asphyxiante culture » que dénonça Dubuffet. Sauvage, à l’image des obsessions ou des bas instincts – « Le pot de Chanbe il est dans le couin / Sul balatome / Je prend le pot / Pour moi l’humez / J’é les cheuvoeux tout drécés / Dans la chaleure / La sueur me coule dessur / La tète /… » – brutale dans sa façon de malmener la langue : « Nous voguons, nuls, macérés, vers certain fief :/ sources bues, glaçons très malades d’une matrice / ivre rejetés, cire, aliment dans l’envers lent, / cadavre flou regardé avec dix-sept yeux ouverts /… » Une poésie qui boite, où les choses apparaissent comme flottant dans les mots. « Je marche le long de la route. / J’ai mis mon duffle-coat rouge. / Dans les pâtures que je longe / Les vaches soufflent dans des sacs de plastique / Jusqu’à ce qu’ils soient bien gonflés. /… »
Mais derrière cette théâtralité de l’excès, cette stratégie d’affolement de la raison et cette façon de pousser l’écriture jusqu’aux limites de ce qui la déborde, la moque ou l’excite, c’est le plaisir d’écrire ce que personne n’ose écrire qui se donne à lire, tout comme celui d’exister à côté de soi-même, à travers l’hétéronymie. Un plaisir quasi frénétique – Ch’Vavar a écrit sous 111 noms différents – et dangereux qui l’a mené au bord de la folie.
Sorte de nef des fous – pour reprendre les termes de Charles-Mézence Briseul dans sa postface – cette anthologie est d’abord un acte de résistance face aux courants de pensée qui dominent la poésie d’aujourd’hui. Témoignant d’une marginalité assumée et relevant d’une volonté de dévoilement d’une autre vérité ontologique, elle regorge de textes qu’on devine habités par l’impossible rêve de voir la réalité apparaître comme l’autre face du langage. Plus discrètement, mais tout aussi intensément, ce livre porte l’indéniable empreinte d’une aventure spirituelle tant, derrière la question de l’être et les noces de l’impersonnel et de la personne que cache l’hétéronymie, se profilent la rigueur d’une ascèse, la prise de risque et comme l’exercice d’un sacrifice. Ce qui relève du grand mystère de la sainteté.
Richard Blin

CADAVRE GRAND M’A RACONTÉ Anthologie de la poésie des fous et des crétins dans le nord de la France
DE IVAR CH’ VAVAR et Camarades, coédition Le Corridor bleu et Lurlure, 528 pages, 32

Le réel à l’état sauvage Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°171 , mars 2016.
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