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Domaine français Longues peines

octobre 2016 | Le Matricule des Anges n°177 | par Camille Cloarec

Le recueil de Sophie G. Lucas retrace avec minutie des parcours de vie chaotiques qui questionnent l’inégalité sociale face à la loi.

Je veux assister à des procès. Je veux frotter l’écriture à cette réalité. Je veux capter des paroles, travailler des voix, des histoires. Je veux comprendre ce que disent ces procès de notre société. » Telle est la démarche de Témoin. De septembre 2013 à janvier 2014, Sophie G. Lucas a assisté aux procès en correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Nantes. Ces longs mois d’observation donnent naissance à des textes courts, fragmentaires, qui retracent dans leur extrême diversité le parcours de ces accusés. Les délits, qui structurent chaque poème, vont des infractions du code de la route aux meurtres, en passant par les violences conjugales. Quant aux personnages, si l’on peut les nommer ainsi, ils sont souvent masculins et en grande précarité, bénéficiant des minima sociaux, ou en situation irrégulière.
L’approche de Sophie G. Lucas rappelle la sociologie. Froidement, objectivement, elle déroule les faits, qu’elle reprend de la bouche même du juge (« Vous aviez bu forcément plus. »  ; « Vous trembliez. »  ; « Vous avez une sœur qui s’occupe de vous. »). Derrière ces affirmations irréfutables se dévoile une misère béante. Les quotidiens sont gouvernés par la drogue, l’alcool et les magouilles, enfermant les prévenus dans un engrenage implacable. La récidive est d’ailleurs très frappante : la plupart d’entre eux n’en sont pas à leur première comparution. La dérive à laquelle ils se sont abandonnés semble, au fond, avoir été la seule alternative. Car, comme le dit l’un d’entre eux : « J’ai tout essayé. »
Une grande pudeur enveloppe ces récits morcelés, qui échappent à tout voyeurisme. Car ici, pour reprendre les termes de la mère d’un accusé, « on n’est pas au cinéma ». Sophie G. Lucas écoute et retranscrit fidèlement les discours de chacun, entre ellipses et fautes de langue. Leurs expressions (« je lui ai mis une poussette assez violente »), leurs aveux à demi-mot (« j’ai donné une éducation un peu stricte ») sont reproduits avec une délicatesse bouleversante. Ce qui frappe le plus est le déni dans lequel s’enferment certains, qui se justifient désespérément à coups d’euphémismes et de négations aveuglées : « Je suis pas dingue », martèle un homme, accusé d’avoir séquestré sa femme et sa voisine. Leur parole maladroite n’a sans doute aucun pouvoir, puisque tout est perdu d’avance. Leurs supplications (« faites-moi une fleur »), leurs litanies (« digne digne digne »), leurs excuses impuissantes (« c’est un passage à vide ») ne les tireront certainement pas de ce mauvais pas. Mais elles les élèvent en leur restituant une forme de dignité désespérée, qui se débat encore et appelle au secours.
La veine presque documentaire de Témoin (nourrie par l’expérience du Reznikoff de Testimony) est parfois mise à mal par l’autobiographie, qui prend le pas, comme malgré elle, sur la réalité des procès. La figure du père, auréolée d’une part de mystère jamais tout à fait éclairée, marginale, surgit au hasard des audiences. « Mon père est mort mais ne le sait pas. Il est assis sur un banc de la Chambre d’audience numéro trois, cheveux en bataille, chemise froissée, il semble ne pas me voir, il est juste là. » Ces poèmes, répertoriés sous le titre de « La longue peine », hantent le recueil, de plus en plus obsédants. Cette irruption de l’intime dans un endroit aussi glaçant et déshumanisé qu’un tribunal ébranle les comptes rendus exacts du livre, et nous pousse à nous interroger sur les limites de la culpabilité. En effet, il est si facile de tomber bien bas et de ne pas se relever. Aucune de ces histoires ne nous est étrangère, si l’on y réfléchit bien. C’est ce délicat mélange d’autobiographie et de sociologie qui, en alternant mise à distance et identification, fait la grande force de Témoin. Sans jamais prendre position, son auteure se contente de citer Camus : « Mais le plus haut des tourments humains est d’être jugé sans loi ».

Camille Cloarec

Témoin, de Sophie G. Lucas
La Contre Allée, 96 pages, 12

Longues peines Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°177 , octobre 2016.
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