Exigence tranchante et désir d’absolu l’habitaient mais écartelée entre l’appétit de vivre et l’attrait du néant, Sylvia Plath se suicidera à 31 ans. Née aux États-Unis, elle était arrivée en Angleterre en 1955 avec une bourse d’études, des nouvelles et des poèmes déjà publiés en revue, et des rêves plein la tête : devenir un grand poète, une grande romancière, épouser un homme exceptionnel et avoir beaucoup d’enfants. Très vite elle rencontra Ted Hughes, qu’elle épousera en secret quelques mois plus tard avant de partir en lune de miel à Paris et en Espagne, une période particulièrement heureuse pendant laquelle elle dessine beaucoup. Préfacé par sa fille, Frieda Hughes, un livre regroupe des dessins exécutés à cette époque (1955-1957), des années clés dans la vie de la poétesse. Trois lettres – à sa mère et à Ted – et un passage de son journal les accompagnent.
De petits formats, ces dessins réalisés à la plume, sur le motif, relèvent d’une forme de poésie du moment présent, et de l’esprit du carnet de voyage. Ils montrent une vue des toits de Paris, un kiosque, une terrasse de café, des bateaux échoués ou retour de pêche, mais aussi des choses dont l’humilité étonne : trois châtaignes, une théière, un parapluie, des vaches, une bouteille de beaujolais… Une manière de rameuter l’épars, d’amorcer un inventaire émerveillé du monde, de montrer le règne sans apprêts des apparences. À Ted, Sylvia raconte comment elle s’est assise « dans l’herbe haute et verte au milieu des bouses » et a dessiné deux vaches, lui dit aussi combien le dessin l’apaise. « Je peux m’absorber tout entière dans le trait que je trace, et m’y perdre. » À sa mère, elle confie : « Je crois que je suis en train de concevoir une sorte de style primitif bien à moi. » Des dessins qui donnent le sentiment d’une vérité close sur sa forme. À leur sujet, Ted Hughes parle d’un « baume anesthésiant », d’objets « éprouvés jusqu’à leur présence nouvelle, / Torturés jusqu’au repos final ». Aujourd’hui que nous connaissons le destin de Sylvia Plath, ses dessins avec leur grâce visuelle, leur accent de vérité et leur belle innocence, apparaissent comme l’écho d’un alléluia fragile et particulièrement émouvant.
Richard Blin
Dessins, de Sylvia Plath, textes traduits de l’anglais par Valérie Rouzeau,
La Table ronde, 88 pages, 22 €
À lire aussi, Froidure, de Kate Moses,
un roman inspiré de la vie et de l’œuvre poétique de Sylvia Plath
Petit quai voltaire, 384 pages, 14 €
Textes & images L’envers de la parole
novembre 2016 | Le Matricule des Anges n°178
| par
Richard Blin
Si la vie et l’œuvre de Sylvia Plath sont bien connus, ses dessins restaient à découvrir. Un beau livre nous les donne enfin à voir.
Un livre
L’envers de la parole
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°178
, novembre 2016.