Intense, nue, métaphysique, la façon dont Lydie Dattas sonde la nuit des femmes dans Carnet d’une allumeuse. Un livre porté par un magnétisme à fleur de peau, irradié par la fougue d’une écriture enfiévrée et dans lequel elle fait retour sur son adolescence de jeune fille au corps ensorcelant, « cet abîme au bord de quoi les hommes vacillent », alors qu’elle ne rêve que de poésie, de mouvement ascendant, de promesse de ciel ouvert et de liberté.
C’est que, très tôt, elle a découvert Rimbaud – un poète qui lui roula « un patin métaphysique », comme elle l’avoue dans La Foudre (Mercure de France, 2011) – l’auteur d’Une saison en enfer, ce « lingot d’or spirituel » auquel elle rêve de se mesurer. « La poésie ! L’enfant maudite des Lettres ! La mal-aimée du monde ! Seules les folles poussent le petit portail blanc de la poésie. » Un besoin de transcendance que ne partagent pas les filles de son âge – « Le soleil sur leur peau était leur seule transcendance. » – obnubilées qu’elles sont par leur apparence – « Le premier trait de khôl est une extase qu’aucune sainte ne connaît. » –, et par leur désir de se changer en idole, en cet absolu érotique qui jette les hommes à leurs pieds.
Ontologiquement vierge, c’est à un autre absolu qu’aspire la jeune Lydie, celui dont la première Ève, « poétique et masculine », porte en elle l’évocation. Une soif de substance qui trouve à s’épancher dans la poésie, qui a à voir avec une conscience qui cherche à se cerner autant qu’avec une forme de spiritualité inclassable, la quête d’une vérité susceptible d’éclairer sa nuit, sans la détruire. « Ma nuit n’est qu’expérience intérieure. Rien de plus haut sous le soleil – mais rien de plus terrible. » Mais avec quelle fille aborder l’absolu quand toutes « en faisaient un chiffon » ? Quand toutes suivent la voie aveugle des femmes, celle qui les enferme dans le carcan des rôles : fille, mère, épouse, putain… « Ho ! Fillette aux yeux sans cœur ! Tu m’entends ? C’est pour toi que j’écris ! Qui te parla jamais comme je te parle ? Qui te montra ton vrai rôle ? Qui te décrassa de ton fard pour te restituer ta beauté ? »
D’où ce terme d’allumeuse, qui ne renvoie pas à celle qui cherche à exciter les sens, mais désigne celle qui éclaire, qui donne la lumière, une « petite sœur des prophètes » rêvant d’évangéliser les ténèbres, de promouvoir « ce Dieu-fait-femme qui manque à l’univers ». C’est d’« allumeuse » qu’elle s’est fait traiter par son « découvreur », l’homme qui lui dédicaça Une saison en enfer, la couvrit d’une « montagne d’adoration »… « Plaire n’est rien, mais ce premier picotement d’éternité au fond de la chair aveugle ! » Celui pour qui elle fugua, et qui la trahit en voulant abuser d’elle, lui révélant ainsi la face maudite de la beauté. « Ô la désillusion amoureuse ! Aucun rapport entre la poésie et ces frottements d’ours que je repoussais avec des mains d’enfant trahi. »
Préférant être voyante plutôt que mère, violente plutôt que violée, notre allumeuse transformera chaque étape initiatique en révélation métaphysique, en éléments d’une vision révolutionnaire de l’identité féminine : n’être pas domestiquée, rester sauvage ; accepter les contradictions ; convertir l’éclat érotique en puissance métaphysique. Un pari sur la manière d’habiter sa féminité, de la vivre poétiquement, tant il s’agit de se confronter à l’impossible, à l’insu, à ces moments où l’esprit et le corps se fascinent l’un l’autre, cherchent leur vérité entre pensée et instinct, alimentent cette combustion verbale par quoi le néant des choses devient existence spirituelle.
Richard Blin
Carnet d’une allumeuse, de Lydie Dattas
Gallimard, 96 pages, 12,50 €
Domaine français Un brûlot d’absolu
janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189
| par
Richard Blin
En des pages férocement incandescentes, Lydie Dattas propose aux femmes d’oublier leur miroir et de briser leur infini servage.
Un livre
Un brûlot d’absolu
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°189
, janvier 2018.