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Poésie Calme déluge sur papier buvard

janvier 2019 | Le Matricule des Anges n°199 | par Emmanuel Laugier

Scénariste des plus grands du cinéma d’auteur, Tonino Guerra (1920-2012) ne cessa d’écrire, roman, récit et poésie, jusqu’à ce très délicat journal-poèmes.

Il pleut sur le déluge

Si Tonino Guerra est d’abord connu pour son travail avec certains des réalisateurs les plus importants du XXe siècle (d’Antonioni aux Frères Taviani, de Vittorio de Sica à Rosi ou Fellini pour l’Italie, de Angelopoulos à Amos Gitaï ou Tarkovski), il n’en reste pas moins qu’il commença par l’écriture, poèmes en dialecte romagnol qu’il conçoit en Allemagne durant sa captivité (1943-45), puis, régulièrement, jusqu’à la fin de sa vie depuis sa première histoire romanesque (La storia di Fortunato) parue en 1952. Cette activité, essentielle, peut-être plus secrète, moins exposée, le journal Il pleut sur le déluge, ponctué de poèmes comme de véritables vignettes ultra-densifiées de sensations, la montre à travers le relevé journalier de douze mois d’une année. Écrit dans les années 90, alors qu’il se retire dans la petite ville de Pennabilli (dans l’Apennin d’Emilie-Romagne), Il pleut sur le déluge consigne souvenirs, impressions de rêves éveillés, scènes prosaïques (« Dimanche 23 juin – Cino Valentini est venu avec un bouquet d’épis, quelques roses et de nombreuses plantes aromatiques. Il a rempli d’eau une vieille cuvette en céramique et en une lente cérémonie y a plongé d’abord les roses puis autour d’elles le reste, tout doucement (…). Selon la coutume (…) demain matin il faudra nous laver le visage avec cette eau-là  »), véritable saisie de plans cinématographiques dont cet énigmatique récit en rêve qu’une grâce inactuelle emporte : « cette nuit, j’ai rêvé que je marchais le long de la rivière, et à un moment je me suis retrouvé à l’intérieur d’une cannaie assez grande. J’étais débout au milieu de bosquet d’arbustes, silencieux et prudent comme un animal sauvage qui a trouvé refuge après une fuite précipitée. Je respirais un air que réchauffaient les couleurs de longues feuilles jaunies et sans vigueur qui, de temps à autre, tombaient, amorties, sur un terrain de substances sèches  ».
On comprend assez vite, Guerra le confiant d’ailleurs lui-même, que son art n’est pas celui de l’intrigue romanesque, à laquelle il ne croit déjà plus en ces années. Aux labyrinthes de la fiction, il préfère des « mots pauvres autour d’un feu  », comme cette nécessité dite de « retrouver les sentiers que parcourent les analphabètes où s’allument des lueurs faites de croyances paysannes, d’énigmatiques histoires de mirages sans vérités absolues  ». Nous ne sommes ici qu’à un jet de pierres de la façon dont les journaux siciliens ou sardes de Carlo Levi suivent d’un même mouvement, et avec quelle acuité bouleversante, le lien qu’il y a entre le détail énigmatique et naturel d’un geste ancestral et la brutalité que le pouvoir central aura mis à en pervertir le sens. Le parti pris de pauvreté, celui des analphabètes (qui revient le 23 décembre), la beauté révélée en chacun, Tonino Guerra la voit et la dit autant que Carlo Levi et avec la même conscience civile.
En juillet, la chaleur déplace le récit du journal vers Odessa où l’on apprend que Guerra y fait un séjour : au dimanche 7, il écrit « J’ai trouvé Lénine assis dans le parc de Hourzouf. Son envie de désigner les horizons le bras levé est désormais assouvie et maintenant les jeunes filles se font photographier cramponnées à ses genoux de bronze étincelant  ». Mais la scène se ferme sur des épis grillés de maïs que vendent des « paysannes accroupies au bord de la route  », tandis que l’horizon léniniste, comme fermé, n’est pas jugé. Un tout petit poème, un jour après et Guerra une fois rentré en Italie dans le Montefeltro, fait conjonction entre l’utopie émancipatrice de la Révolution de 17 et celle, dialogique, du grand Socrate : « Socrate l’è tótt zàis  », « Socrate est tout allumé/ comme une nuit pleine de lucioles ». Ainsi le journal continue-t-il, au jour le jour, et l’on s’émerveille à l’aoûtement qu’« une dimension franchi[sse] le fruit de l’autre » (René Char), quand, pour Guerra, celle-ci vient d’un déluge écrit en notations climatologiques : « Le déluge, presque !// D’abord une nuée noire/ qui montait de la mer/ a rempli d’ombre la terre/ comme de l’encre/ sur du papier buvard  ». Comme si une boucle, de la main à l’œil, était l’évidence même.

Emmanuel Laugier

Il pleut sur le déluge
Tonino Guerra
Traduit de l’italien par Sophie Royère
La Barque éditeur, non paginé, 20

Calme déluge sur papier buvard Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°199 , janvier 2019.
LMDA papier n°199
6,50 
LMDA PDF n°199
4,00