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Domaine français Un poète contrarié

mai 2020 | Le Matricule des Anges n°212-213 | par Guillaume Contré

mêlant autobiographie et jeux sur la variation, Benoît Toqué crée un texte foutraque qui tente de rendre sur le papier la tension propre à la performance poétique.

Série de courts paragraphes passant du coq à l’âne selon la règle arbitraire de l’association d’idées, Contrariétés, du poète Benoît Toqué, cherche à faire de cette saturation composite un mouvement cohérent. L’écriture tient ici de la fuite en avant et du besoin paradoxal d’accumuler, comme s’il n’y avait finalement de cohérence que dans l’exagération de l’incohérence : « Il y a trop de choses dans ce texte, je vais devoir en écrire d’autres », peut-on lire page 37. « Le poème », de toute façon, « est interminable » et les permutations y servent l’absurde, réduisant à néant les prétentions à la vérité de toute affirmation : « la valeur est sublime », « l’humain est un conquérant contrarié », « la critique conquiert l’humain », « la valeur est contrariée », « la valeur est d’une complexion complexe, compliquée », « la politique », elle aussi « est d’une complexion complexe, compliquée », et cela pourrait continuer comme ça, car « il n’y a pas de limites ». « Le sens », d’ailleurs, « ce n’est pas ce que ça veut dire : c’est ce vers quoi ça va. Et ce vers quoi ça va, on ne sait pas ».
C’est au lecteur, naturellement, qu’il revient d’organiser ce trop-plein hétéroclite en suivant les pistes qui lui sont fournies : jeux de rappels, de symétries, de modifications d’éléments déjà croisés en cours de lecture, etc. L’exercice est périlleux, car cette complicité qu’il demande au lecteur – l’impératif de « jouer le jeu » – n’est jamais acquise. L’auteur en a conscience et en joue à son tour, ce qui est à la fois une des qualités du livre et une de ses limites (surtout quand il fait mine de moquer ses propres défauts). Quoi qu’il en soit, c’est bien l’auteur qui est au centre, lui ou la figure de l’artiste : « L’automythographie est une valeur conquérante », dit-il. Affirmation ironique mais aussi littérale, puisque Benoît Toqué ne cesse donc de se mettre en scène dans ce texte gigogne qui pourrait aussi bien être une sorte de journal de lectures, une collection de choses vues et entendues et d’anecdotes personnelles. C’est-à-dire que, tout en apparentant une certaine neutralité de ton et en accumulant les citations plus ou moins fidèles, le « je » ne cesse d’occuper une place centrale. Sa vie n’est pas forcément palpitante, mais faut-il qu’elle le soit : « Je lis ce roman où un homme saute des toilettes d’un train, dans un autre train », « ça se passe dans un train, il y a un suicide. Je suis dans un train mais il n’y en a pas. »
Benoît Toqué semble ne pas faire de différence entre le fait d’écrire pour lui ou pour ses amis et d’écrire pour des inconnus. Cela tient à ce qu’il n’est pas tant poète que performer et son écriture, pensée pour être lue à haute voix, ne serait complète qu’en la présence physique du poète (« le corps est valeureux et il est sublime »). Si tous les livres sont accompagnés du mythe de leur auteur, comme une sorte de double fantôme qui hante leurs pages (Balzac buvant des litres de café, Artaud subissant des électrochocs, etc.), le livre d’un poète performeur aura forcément des airs de partition incomplète. La médiation directe d’un instant présent partagé entre le poète et ses auditeurs manque. Toqué le sait sans doute, lui qui ne manque pas d’affirmer que « le rythme est la valeur sublime », et il décide de compenser en faisant de la poésie « performée » l’un des sujets de son livre.
On y croise beaucoup de noms (la couverture, de fait, les multiplie en mosaïque), ceux d’artistes, de poètes, de vidéastes, de réalisateurs. On y croise surtout les noms de ceux qui pourraient être des modèles (ou pas), ou encore les contemporains directs de l’auteur, comme s’il revendiquait une famille ou un catalogue d’expérimentateurs dont les préoccupations seraient plus proches de celles des arts plastiques que du monde de la littérature, d’où, sans doute, en épigraphe, une citation de l’écrivain québécois Mathieu Arsenault, qui évoque « la littérature », « cette vieille chose » condamnée à raconter les détails ennuyeux « de ses années glorieuses ».
Contrariétés est ainsi une sorte de manifeste esthétique qui oscille en permanence entre le second degré et la littéralité absolue, presque idiote, sans négliger pour autant la réflexion théorique : « L’ordinaire même a des qualités esthétiques », et peut-être l’art prend-il, « pour ainsi dire la place de la vie, en la rabaissant ». De toute façon, « le goût n’est pas tout et il a peu à voir avec l’esthétique ».

Guillaume Contré

Contrariétés, de Benoît Toqué
Dernier Télégramme, 80 pages, 11,50

Un poète contrarié Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°212-213 , mai 2020.
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